Théâtre

Deux Amis – Pascal Rambert

12 November 2021 | PAR La Rédaction

 

Clôture de ce “moment Rambert” qui fait résonner depuis le 26 octobre l’écriture du dramaturge sous la voûte incomparable des Bouffes du Nord, “Deux Amis” s’inscrit dans la continuité du geste théâtral de Pascal Rambert et révèle une fois de plus des interprètes prodigieux. Charles Berling et Stanislas Nordey s’y surpassent dans une pièce qui porte aux nues l’art du théâtre et rend hommage à Antoine Vitez.

Par Marie Plantin

Ils entrent en scène comme on fait un hold-up. Avec éclat et fracas. Stanislas Nordey et Charles Berling, à l’affiche de la dernière création de Pascal Rambert, déboulent sur le plateau nu des Bouffes du Nord et dans l’instant même de leur apparition, nous attrapent, nous happent, nous entraînent dans leur émulation réciproque et leurs énergies complémentaires, leur conversation à bâton rompu, nerveuse, tendue, haletante. Une entrée in medias res sur les chapeaux de roue, comme Rambert sait si bien les faire. Suivre son œuvre théâtrale se développer ces dernières années est une expérience de spectateur bouleversante et passionnante, chaque pièce, aussi singulière soit-elle s’inscrivant dans un flux plus vaste, celui d’une écriture en continu, en mouvement permanent, qui se nourrit de sa relation aux comédiens, s’immisce dans leur personnalité, s’arrime à leurs corps et à leurs vies. Pascal Rambert écrit du sur-mesure mais ce n’est jamais du prêt-à-porter, c’est de la haute couture.

Il y a une forme de transcendance dans cet acte, osons le mot. Une alchimie redoutable. Le plateau se meut en surface de contact, zone érogène, terrain d’accouplement d’une langue et de corps traversés. Dans le théâtre de Pascal Rambert, le verbe et la vie sont intimement liés, ce qui se pense à l’intérieur déborde à l’extérieur, le dehors percute le dedans et l’effraction est formulée, toujours, avec une rage de vérité à nulle autre pareil. La parole exulte, elle charrie les convictions, la vulnérabilité, les doutes, la colère, les élans, le lien à l’autre qui est toujours la source du flot langagier, son moteur, sa nécessité. Le verbe se fait vertical, il fuse, il est vital. C’est peu de dire qu’il est incarné dans des corps habités qui palpitent et fendent l’espace. Quand immobilité il y a, elle n’est jamais statique, elle pulse, elle concentre le mouvement à venir, elle se dresse dans la nudité du plateau. Ce théâtre-là n’est jamais au repos, ne fait aucune concession, n’accorde aucun répit, il est entier,  il est conflit, il est amour, il est brûlure, il traque le point de contact entre l’intime et le monde. Entre l’individu et l’époque. “Deux Amis” ne déroge ni à l’esthétique ni à la dramaturgie “rambertienne”, il porte haut le flambeau par le panache de ses interprètes, Stanislas Nordey et Charles Berling, beaux, magistraux. A nus et impériaux dans leur (aban)don même. Ils composent un couple de théâtre d’exception, un couple de fiction, un couple d’amants et d’artistes, acteur et metteur en scène aux prises avec le plateau et tout ce qu’il y a derrière.

Car Pascal Rambert n’aime rien tant qu’exhumer ce qui se tient à l’arrière des relations, des répétitions, des sentiments. Inlassablement, il désamorce les phrases toutes faites, les automatismes de langage, les rapports sociaux factices. “Deux Amis” rend hommage à Antoine Vitez, lumineux interprète dans “Ma Nuit chez Maud”, film épuré jusqu’à l’os de Rohmer, bâti sur des dialogues existentiels délicieux dont certains que le spectacle donne à réentendre. Antoine Vitez qui avait monté 4 Molière avec pour tout décor et accessoire, une table, deux chaises et un bâton. Apologie d’un théâtre du peu, misant tout sur l’acteur et son infinie capacité à créer des mondes et lever les imaginaires. Pascal Rambert revendique ici un héritage, il dit merci à sa manière à celui dont il suivait les cours à l’école de Chaillot, il ausculte une fois de plus mais autrement les dessous du théâtre. Cet art qu’il aime au-delà de tout, cet art auquel il a dédié sa vie. Cet art dont il n’a pas fini de faire le tour car c’est une fascination sans fin.

“Deux Amis” réfléchit le théâtre à voix haute, invite à se glisser dans ses coulisses mais jamais ne nous y enferme. Car il est chambre d’écho du monde et de nos existences tourmentées, aspirant à l’utopie de la sérénité. Ce faisant, l’auteur et metteur en scène enquête sur l’humain sans jamais tomber dans les travers de la psychologie, il regarde l’invisible dans les yeux et nous tend le miroir de son abyme, il libère le lyrisme qui sommeille au fond des phrases et témoigne avec une ardeur qui jamais ne tarit des réseaux souterrains de circulation entre l’art et la vie. C’est magistral.

Jusqu’au 14 novembre, du mardi au samedi à 20h30. Matinée le dimanche à 16h00, au Théâtre des Bouffes du Nord

Visuel : ©Nicolas Martinez

 

 

 

 

 

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