
Dans La Voix humaine, Martine Chevallier joue une femme intensément amoureuse
Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française et sous la direction de Marc Paquien, Martine Chevallier réalise dans « La voix humaine » de Cocteau une très belle performance d’actrice. Tragédienne innée, elle trouve encore ici un grand rôle à sa mesure et émeut profondément. On connaît davantage ce texte dans sa version lyrique composée par Poulenc, lequel a aussi mis en musique « La Dame de Monte Carlo » parfaitement chanté par Véronique Vella en lever de rideau.
Les lamentations sentimentales d’une bourgeoise qui se fait plaquer et qui en brûle à petit feu pourraient être assommantes mais il n’en est rien ici tant Martine Chevallier s’empare de ce monologue – une partition exigeante et complexe – avec sensibilité et intelligence. Elle sert avec une présence magistrale et une délicatesse inouïe ce texte qu’elle dit, qu’elle vit plutôt, et livre comme un sublime hymne à l’amour désespéré. Esseulée dans sa chambre sombre, elle attend un coup de téléphone promis par l’homme qu’elle aime encore alors qu’il vient de la quitter. Elle décroche le combiné, lance avec une légère précipitation quelques « allo » d’une voix suave et légèrement voilée comme empêchée par des sanglots contenus et déjà des larmes imbibent ses yeux humides qu’elle camoufle sous des lunettes de soleil. « C’est toi ! »… « Enfin, chéri »… L’appel redonne vie à ses traits défaits, elle frétille entre soulagement et espoir, on dirait une jeune fille. Quelques accents d’agacement et de colère sont suscités par les coupures et les interventions intempestives de personnes sur la ligne. Sinon, elle est conciliante, presque trop gentille, acquiesce à tout, endosse toutes les fautes et lui donne des « mon chéri », « mon amour », « mon adoré » à répétition. Elle n’a plus rien à attendre mais un amour inconditionnel et infini à formuler à son destinataire éloigné pour toujours. Au pied du lit, deux verres de whisky sont disposés sur un plateau ; ils suggèrent la présence paradoxalement prégnante de l’homme absent et la vaine inacceptation de la séparation. La femme raconte des histoires, se décrit parée d’une robe rose avec fourrure, revenant d’un dîner chez Marthe. Elle porte en réalité une élégante tenue de nuit, s’est mise au lit en avalant des cachets, et demeure terriblement seule et désœuvrée. C’est pourquoi le ton et le jeu glissent vers une gravité tenue. Martine Chevallier interprète sobrement mais avec ses tripes les souffrances causées par la rupture tout juste consommée qui va jusqu’à pousser le personnage vers la tentation du suicide. C’est pathétique et sublime.
photo Christophe Raynaud de Lage