Théâtre
Dan Da Dan Dog, le rêve suédois de Pascale Daniel-Lacombe à Poitiers

Dan Da Dan Dog, le rêve suédois de Pascale Daniel-Lacombe à Poitiers

27 January 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Derniers réglages pour la générale de “Dan Da Dan Dog” ce mardi 24 janvier. Pascale Daniel-Lacombe, directrice du Méta, CDN Poitiers (Centre Dramatique National) depuis 2021, nous offre une mise en scène moderne de cette pièce suédoise où le temps est confus, la réalité tremblante, et où la satire de la condition humaine qui s’imprègne du texte est très bien rendue compte dans le jeu des acteurs.

Une mise en scène et une scénographie onirique

Une répétition générale dans le cadre d’un Temps fort des « Rencontres d’hiver » du CDN qui a ameuté bon nombre de journalistes ce mardi 24 janvier pour la représentation de Dan Da Dan Dog, d’après le texte de l’auteur suédois Rasmus Lindberg, traduit en français par Marianne Ségol-Samoy : Le jour où le jour est mort. Dès l’entrée dans la salle, l’atmosphère brumeuse, les jeux de lumière crépusculaires, et les comédiens immobiles sur scène, donnent envie au spectateur d’appuyer sur « play », pour que le spectacle prenne vie. Pascale Daniel-Lacombe prend la parole pour présenter la pièce avant de clamer « merde aux acteurs et actrices ». Trois caméras capturent cette représentation qui réunit des comédiens qu’on retrouve ça-et là sur la scène théâtrale, mais n’ayant pas pour habitude de jouer ensemble. Pourtant, l’alchimie a bien lieu.

Dès que la lumière s’éteint, le tableau qu’on apercevait déjà dans l’obscurité du théâtre Beaulieu prend vie. Ou plutôt, la vie des personnages se détricote sous nos yeux. Installés dans un fauteuil, le couple de grands-parents – interprétés par Etienne Kimes et Mathilde Panis – rembobine le cours de leur existence commune. Le fauteuil tourbillonne au fil des jours, des saisons, des années de leurs vies qui s’écoulent, dans une monotonie et une routine aussi désespérante que poétique, aussi dramatique que comique. Le vélo sur lequel le personnage de Kenny pédale, interprété par Etienne Bories, émet une faible lumière et le cliquetis de la mécanique de la bicyclette nous donne l’impression qu’on assiste à la projection d’une vieille pellicule de cinéma. Le spectacle tire beaucoup de son intérêt des décors amovibles, qui semblent profiter de la brume pour glisser sur les rails de la scène et raconter un à un des épisodes de la vie des personnages. Chacun d’entre eux est affilié à un décor – le fauteuil de la grand-mère, la grande table vide du pasteur, le lit simple de l’adolescent, le banc du médecin – mais tous se croisent et se rencontrent, liant un à un le destin de ces sept personnages et les relations qui en naissent. Transgressant les délimitations entre chaque décor, le chien « Sunny », simple balai qui prend vie dans les mains des comédiens, apparaît comme la clef de voûte de l’intrigue et le fil conducteur des péripéties qui bousculent la monotone existence de chacun des personnages.

Une scénographie moderne qu’on doit à Philippe Casaban et Eric Charbeau, qui permet de mettre en scène des souvenirs, simultanément joués dans les divers tableaux qui se construisent et déconstruisent en direct. Beaucoup de “flash-back” où le temps s’arrête dans l’un des décors pour prendre vie dans un autre et guider le spectateur dans la compréhension du texte. Le jeu sur les hauteurs rend compte de la dimension onirique de la pièce, long rêve éveillé pour les personnages qu’on retrouve tantôt sur le parquet de la scène, tantôt plus haut sous le feu des projecteurs et courant dans divers balcons, ou encore suspendus dans les airs à la fin de la pièce. Ces multiples dimensions permettent de jouer avec l’espace scénique et d’emporter le public dans le rêve collectif qui se construit sous nos yeux.

« Tu as abattu mon présent » : une fuite du temps mélodique et dramatique, qui prête à sourire

Une pièce chorale où, sans qu’aucun protagoniste ne se dégage de l’intrigue, tous ont leur rôle à jouer ; les parcours et aventures se croisent, s’entremêlent, se nouent. Tous, sauf Sofia, personnage errant sur scène, et même à l’orée du public, sans influer une seule fois sur le cours de l’intrigue, et allant jusqu’à le constater elle-même dans une tirade au ton pathétique.

Le drame de la vie intérieure de chaque personnage est imprégné d’une réflexion sur l’absurdité globale de l’existence, qui prête à rire ; on passe du dramatique au comique, du songe à la réalité, des petits tracas quotidiens à l’angoisse et à l’omniprésence de la mort. L’enterrement prend des contours psychédéliques du fait des effets sonores du micro du pasteur, désacralisant dès lors la cérémonie sans que personne ne semble s’en rendre compte. Un drame comique du non-dicible, ou chaque personnage parle de lui-même sans écouter les autres. Le texte est moderne, quoique parfois quelque peu caricatural dans la bouche des jeunes adultes Kenny et Amanda, mais l’interprétation juste de chacun et notamment de Mathilde Viseux est à saluer.
Les situations les plus pathétiques apparaissent comme le suc de l’ironie et de l’absurdité. La perte du chien « Sunny » en est le parfait exemple ; l’interprétation de son maître Jean-Baptiste Szésot prête à sourire, bien qu’il exprime tout son désarroi, dans une tirade poétique bourrée d’hypothétiques.

Perpétuelle angoisse, le temps se décline dans la bouche de chacun comme « passé », « présent » ou « avenir ». Mais personne ne le conçoit de la même manière, s’auto-censurant ou étant bridé par des raisons extérieures comme la maladie ou la folie. A la croisée de trois générations, cette méditation sur le devenir a donc deux fils conducteurs ; le chien, élément aspatial et atemporel qui mène l’intrigue par ses allée et venues, et la mort de l’autre côté, qui semble attendre les personnages à tous les tournants. Cette fuite du temps se lit aussi dans les effets sonores et musicaux présents dans la mise en scène ; les cloches de l’enterrement, le rythme lent et grave du soubassophone et les airs de banjo mélancoliques, qui ajoutent une réelle profondeur poétique à la pièce.

Le public ne s’éveille de cette longue rêverie qu’après avoir applaudi les comédiens en guise de reconnaissance pour cette répétition générale qui préfigure de belles représentations !

Visuel :© Xavier Cantat

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Eleonore Carbajo

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