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[Critique] L’Assommoir au Théâtre du Nord : Zola pour les Nuls !

[Critique] L’Assommoir au Théâtre du Nord : Zola pour les Nuls !

12 January 2014 | PAR Audrey Chaix

Aller voir une adaptation de L’Assommoir au théâtre, cela peut paraître un peu rébarbatif, quand on y pense. Zola au théâtre, ça n’est pas une évidence, et d’ailleurs, cette version scénique de L’Assommoir est unique en son genre. David Czesienski, qui en a écrit le texte aussi bien qu’assuré la mise en scène; raconte dans le programme de salle qu’il a choisi de porter ce roman de Zola au théâtre en raison de la modernité qu’il y a vue, en écho avec le monde d’aujourd’hui. Argument qui n’a rien d’innovant, certes, mais qui a le mérite d’avoir poussé Czesienski à rendre L’Assommoir le plus accessible possible. Les ficelles sont parfois un peu grosses, mais une chose est sûre : cet Assommoir n’ennuie pas.

Lorsque le public entre dans la salle pour prendre place, les comédiens sont déjà sur scène. Une table, des chaises, de nombreuses bouteilles (encore) pleines et un juke-box : cela chante, danse, discute et s’exclame… pas de doute, nous sommes dans un bar, rappel de l’Assommoir du roman qui est, à l’origine, un troquet. L’histoire de Gervaise ne sera pas jouée sur scène de façon traditionnelle, mais racontée, à la manière du théâtre récit, par les six protagonistes, trois hommes et trois femmes, trois couples à la ville. Nous sommes dans les années 1950 – 1960, au vu des costumes et du juke-box Comme des amis qui se retrouvent autour d’un verre dans leur bistrot habituel, ils commencent à évoquer la vie de cette pauvre Gervaise – sans se priver de commérer à son sujet.

Les six comédiens assument avec enthousiasme ce théâtre de récit qui se fait de plus en plus animé alors que l’alcool embrume les esprits. Car ce qui ajoute du piquant à la mise en scène, c’est que les personnages s’arrosent abondamment le gosier, faisant de cette soirée de commérages une beuverie mémorable, ce qui permet d’ajouter un ressort narratif au cadre de l’histoire – il ne se passe pas seulement des choses dans le récit que narrent les jeunes gens, il y a aussi une intensité dramatique pour donner de la profondeur aux six personnages qui racontent l’histoire. Chapeau bas aux six comédiens, qui réalisent ici une véritable performance d’endurance pour jouer la beuverie, incarner tour à tour les personnages de Zola, avec une énergie et un enthousiasme impressionnants – pendant 2h10.

 Un peu plus de deux heures, donc, qui auraient cependant gagné à être un peu plus ramassées, surtout vers la fin, alors que commence la déchéance de Gervaise. Non que l’histoire soit moins intéressante à partir de ce point-là, au contraire, mais parce que les six comédiens ne parviennent pas à insuffler de dimension tragique convaincante à leur récit lorsqu’il s’agit de conter la spirale qui entraîne Gervaise vers la prostitution. À tel point qu’ils en viennent à surjouer le comique, comme pour compenser. Cela entraîne une certaine lourdeur, renforcée par un texte qui manque parfois de subtilité, ce qui plombe la dernière demi-heure de la représentation.

Cela n’enlève en rien le mérite qui revient à cette équipe jeune et dynamique : rendre Zola accessible, et divertir le public avec un classique de la littérature française dont la réputation reste celle d’un pavé aride et difficile à lire. Gageons que les lycéens qui étaient dans la salle se replongeront avec plus d’enthousiasme dans L’Assommoir lors du prochain cours de français. Le pari est sur ce plan-là réussi : on ne s’ennuie qu’un peu vers la fin. Et gageons que ces jeunes comédiens, qui étaient encore des apprentis-comédiens il y a peu, assiéront leur présence dramatique au fur et à mesure qu’ils prendront de la bouteille.

© Frédéric Desmesure

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