Politique culturelle
Corinne Loisel : “La programmation des Zébrures du printemps reflète, en grande partie, les projets d’écriture accompagnés par la Maison des auteurs·rices”

Corinne Loisel : “La programmation des Zébrures du printemps reflète, en grande partie, les projets d’écriture accompagnés par la Maison des auteurs·rices”

20 March 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Corinne Loisel est responsable des activités littéraires et de la Maison des auteurs·rices des Francophonies-Des écritures à la scène. Elle nous parle de la prochaine édition des Zebrures de printemps qui se tiendra à Limoges du 20 au 26 mars.

Vous êtes responsable de la Maison des auteurs.rices, qui fête cette année ses 30 ans: quel bilan ? Quel est son rôle exact dans son soutien à la création francophone (résidences, prix…) ?

Depuis 30 ans, la Maison des auteurs·rices des Francophonies-Des écritures à la scène est un lieu important d’accueil et d’accompagnement des projets d’écriture francophones. Nombre d’auteurs·rices y ont réalisé une résidence, souvent à l’aube d’une carrière internationale. Citons, par exemple et en étant loin de l’exhaustivité, Tanella Boni, Ken Bugul, Céline Delbecq, Kossi Efoui, Wajdi Mouawad ou encore Koffi Kwahulé.

La Maison des auteurs·rices est à la fois lieu d’accueil permettant l’éclosion ou la finalisation des projets d’écriture, mais aussi une structure de mise en relation et de diffusion, au bénéfice des auteurs·rices et de leurs textes.

Nous travaillons à développer l’accompagnement dramaturgique des projets d’écriture, pendant le temps de résidence. Et aussi, l’après-résidence, la valorisation et la diffusion des textes, qui sont toujours du « sur-mesure ». Nous pouvons ainsi proposer certains textes pour le Prix SACD de la dramaturgie francophone, d’autres, dans le cadre de notre partenariat avec RFI, pour une mise en lecture au festival d’Avignon (cycle « Ça va, ça va le monde »), ou encore les soumettre pour la revue La Récolte, à laquelle la Maison des auteurs·rices participe depuis deux ans. Les Francophonies-Des écritures à la scène ayant tissé un large réseau de partenariats avec différentes institutions et festivals, nous sommes aussi sollicité·e·s chaque année, pour proposer des textes qui seront présentés en lecture, ou des auteurs·rices qui seront invité·e·s à participer à des rencontres professionnelles, tables-rondes etc. La Maison des auteurs·rices a aussi travaillé, en 2022, avec le Théâtre de l’Union, Centre Dramatique National du Limousin, en proposant dix autrices francophones auxquelles a été passé commande de textes, pour la création du spectacle Je crée et je vous dis pourquoi mis en scène par Aurélie Van Den Daele.

Concernant les Prix, en 2003, en partenariat avec l’Académie de Limoges, la Maison des auteurs·rices a créé le Prix Sony Labou Tansi des lycéen·ne·s, formidable initiative qui permet à ces derniers de découvrir des textes francophones questionnant les grands défis de notre époque, qu’ils soient économiques, écologiques ou encore sociétaux. Ce Prix a très vite pris une envergure nationale, puis internationale. Les votes des lycéen·ne·s ont ainsi récompensé, entre autres, Incendies de Wajdi Mouawad (2004), Une étoile pour Noël de Nasser Djemaï (2007), Le Bruit des os qui craquent de Suzanne Lebeau (2009), 2h14 et Le Brasier de David Paquet (2014 et 2018), Le fils de Marine Bachelot Nguyen (2019), Du piment dans les yeux de Simon Grangeat (2021) ou encore Congo Jazz Band de Mohamed Kacimi (2022). Créé au début avec une centaine d’élèves, ce sont aujourd’hui environ 1500 lycéen·ne·s qui participent chaque année à ce Prix.

Je dirais que le bilan est positif, mais que nous sommes sur des actions qui nécessitent le déploiement d’efforts constants et aussi, une meilleure reconnaissance en termes de financements pour l’accompagnement de la carrière des auteurs·rices.

On observe une part importante de textes écrits par des femmes (sept textes sur les onze mis en lecture), de même qu’un partenariat avec les Sans pagEs, qui vise à promouvoir une meilleure visibilité des femmes autrices sur Wikipédia. Comment expliquer que cette inégalité de genre se perpétue ? Avez-vous le sentiment que la situation évolue ? Que peuvent faire les festivals comme les Zébrures pour inverser la tendance ?

La programmation des Zébrures du printemps reflète, en grande partie, les projets d’écriture accompagnés par la Maison des auteurs·rices sur ces deux dernières années. Depuis trois ans, certains de nos programmes de résidence sont dédiés aux autrices francophones. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’Observatoire de l’égalité femmes / hommes dans la culture et la communication en 2022, dans le secteur du spectacle vivant, les œuvres programmées écrites par une femme sont moins présentes (31%). Même si la situation évolue avec certaines éditions de grands festivals, comme celle d’Avignon en 2021 ou du Festival du Théâtre national de Bretagne en 2022 ou la programmation de nouvelles directions de Centres Dramatiques Nationaux, comme celle d’Aurélie Van Den Daele au Théâtre de l’Union à Limoges, qui font la part belle aux voix des femmes, il faut continuer à programmer des autrices et ainsi ancrer les nouvelles voix féminines dans le paysage théâtral !

Concernant le projet avec Les sans pagEs, qui est né du besoin de combler le fossé des genres sur Wikipedia, il se trouve que l’un des membres de cette association habite Limoges. L’an passé, nous avions mis en place une première collaboration, qui avait porté ses fruits en termes de création de pages au bénéfice d’autrices, dont certaines avaient réalisé une résidence à Limoges. Cette année, nous avons trouvé intéressant de poursuivre le partenariat et développer la réflexion autour des enjeux pratiques et politiques liés aux questions de genre, plus particulièrement dans le milieu des arts et de la culture, à travers une rencontre entre Les sans pagEs et Point·e Médian·e, initiative d’un groupe de chercheur·e·s et d’étudiant·e·s de l’Université de Limoges qui travaillent sur ces questions.

Après avoir mis à l’honneur Haïti à l’automne dernier, c’est désormais l’Afrique qui semble sur le devant de la scène, avec la question de la variété des langues africaines et une table ronde sur les questions de la traduction des textes dramatiques africains. Pourquoi cette question vous paraît-elle cruciale ? Comment la traduction peut-elle aider à faire connaitre la diversité des littératures africaines??

Le festival des Zébrures du printemps, à la différence des Zébrures d’automne qui mettent en exergue pour chaque édition un ou plusieurs territoires francophones, n’a pas de thématique géographique. C’est une vitrine et un moment de partage des projets développés et accompagnés sur l’année ou les deux années passées. Pour cette édition 2023, si l’Afrique est sur « le devant de la scène », c’est surtout car nous proposons, en partenariat avec la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale, un focus sur la traduction des textes dramatiques africains. Nous accueillons chaque année des auteurs·rices du continent africain francophones en résidence mais nous connaissons peu les écritures anglophones ou lusophones. Questionner la circulation – ou non – de ces écritures sur lecontinent, notamment grâce à la traduction, est l’un des points que nous souhaitons aborder lors de la table-ronde organisée samedi 25 mars. Elle réunira les traductrices des deux textes présentés en lecture le même jour et Tiphaine Samoyault (directrice d’études de l’EHESS, directrice du Centre de recherches sur les arts et le langage) qui, avec son essai Traduction et violence (Le Seuil, 2020) interroge de façon extrêmement percutante une définition de la traduction, hors de l’idée d’un espace de rencontre heureuse entre les cultures. Elle analyse ainsi comment la traduction est aussi « l’espace irréductible d’une confrontation ». Cette réflexion qui touchera toutes celles et ceux qu’intéressent les dialogues entre les cultures nous paraît effectivement cruciale.

Pouvez-vous nous parler de votre fidélité à des autrices déjà programmées ou soutenues (Emmelyne Octavie, prix SACD de la dramaturgie francophone 2022 ; Gaëlle Bien-Aimé, nommée au même prix en 2022 et lauréate du Prix RFI la même année…)

C’est le reflet de notre accompagnement et soutien sur une temporalité qui peut être différente pour chacun·e. S’agissant de l’autrice haïtienne Gaëlle Bien-Aimé, elle a par exemple bénéficié du programme de résidences « Découvertes » à la Maison des auteurs·rices en 2019-2020. A ce moment, Gaëlle était déjà connue à Port-au-Prince à travers ses spectacles de Stand-Up, mais avait très peu écrit de textes hors de ce style. En 2022, elle a candidaté à une résidence soutenue par l’Agence Livre, Cinéma et Audiovisuel de Nouvelle-Aquitaine et l’Institut des Afriques à Bordeaux et son projet a été retenu, lui offrant trois mois de résidence à la Maison des auteurs·rices à Limoges, à La Rochelle et à Bordeaux. Le texte qu’elle a finalisé lors de cette dernière résidence, Port-au-Prince et sa douce nuit, a été lauréat du Prix RFI 2022, montrant ainsi que soutien et accompagnement via les résidences portent leurs fruits !
Quant à l’autrice guyanaise Emmelyne Octavie, son texte Mère Prison (2021) a été un vrai « coup de cœur » que nous avons souhaité faire découvrir lors des Zébrures du printemps 2022. La lecture de ce texte à Limoges est d’ailleurs le point de départ d’une création à venir. Tout en donnant voix à une communauté peu représentée sur les scènes théâtrales – les amérindiens qui vivent en Guyane – le texte suivant d’Emmelyne Octavie, A contre-courant, NOS LARMES ! nous semblait aussi d’une grande qualité dramaturgique. Nous l’avons donc soumis au Prix SACD de la dramaturgie francophone, qu’il a remporté à l’automne 2022.
Nous profitons donc des Zébrures du printemps 2023 pour faire entendre ces deux beaux textes. Et de plus, cette année, la lecture à Limoges de Port-au-Prince et sa douce nuit dirigée par Lucie Berelowitsch, donne naissance à une collaboration avec le Festival des langues françaises à Rouen (2-5 mai 2023), où il sera mis en espace.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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