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Avignon OFF : Une pièce coup de poing sur les pouvoirs du langage

Avignon OFF : Une pièce coup de poing sur les pouvoirs du langage

14 July 2021 | PAR Thomas Cepitelli

Dans la toujours exigeante programmation du 11avignon, Frédéric R. Fisbach brille dans un monologue de Dieudonné Niangouna qui trouble et questionne. Passionnant.

Une écriture théâtrale qui interroge… le théâtre

Sur un plateau presque vide, un homme seul s’adresse tour à tour à des djihadistes, à une puissance invisible qui semble le surveiller et le contraindre et aux spectateurs. Ce long et puissant monologue du dramaturge, metteur en scène et comédien Dieudonné Niangouna ne précise aucun lieu, aucune époque, aucun contexte. Tour à tour dans un lieu d’interrogatoire (du FBI ?), dans une grotte du désert où il serait otage, dans un asile psychiatrique, son personnage, Anton, dit le monde tel qu’il ne va pas. La réponse est peut-être dans le seul fait que nous soyons au théâtre. Ici, par la magie d’une machine à fumée, par le clignotement des néons qui encadrent la scène, par quelques notes de musique techno, on est à Seattle. Il nous faut le croire, ce Anton, qu’on a du mal à suivre. Il y va de sa survie, lui qui semble avoir tant à dire. Il y va de notre contrat de spectateur. Il est un “vociférateur” plutôt qu’un personnage. Il est un miroir tendu, un écho proposé plutôt qu’une incarnation. 

L’écriture de Niangouna possède une force rare dans les écritures théâtrales contemporaines. Elle se révèle ici, plus encore peut-être que dans Attitude clando, comme un jeu d’échos et de trouble pour le spectateur. En multipliant les adresses de son “personnage”, le dramaturge congolais brouille les pistes de la fiction jusqu’à la toute fin du spectacle, où l’on ne sait plus bien si c’est l’acteur ou le personnage qui nous propose de le suivre hors-scène. On ne sait plus bien s’il nous faut croire aux élucubrations de ce Anton, qui semble avoir tout vécu et a un avis sur tout. Mais, et c’est la force de ce texte, on ne sait même plus bien si l’on doit croire Niangouna lui-même. Il se joue de nous, de nos représentations, de nos clichés. Il nous pousse dans nos retranchements. 

Des pouvoirs de l’acteur 

On avait oublié, et c’est fort dommage, quel immense acteur est Frédéric R. Fisbach. On le connait surtout comme metteur en scène. On se souvient, entre autres, qu’il avait proposé à Avignon, dans la Cour d’honneur, ses Carnets d’Hypnos d’après René Char en 2007. Il est un fin connaisseur des écritures contemporaines venues d’ailleurs, francophones ou non. En effet, il signe des mises en scène du japonais Oriza Hirata, mais aussi des textes comme l’exceptionnel Convulsions de Hakim Bah. Quelle joie de le voir ici joindre ces deux savoirs. Il se jette, à corps perdu, dans ce texte complexe, mais avec sa connaissance pointue des écritures dramatiques. Comment penser l’adresse quand il y en a tant ? Comment ne pas perdre le spectateur dans cet entrelacs de lieux, de mensonges, de questionnements ? Comment ne pas entrer dans la facilité d’une complicité avec le public quand on s’adresse à lui ? Frédéric R. Fisbach relève, haut la main, ce défi, en jouant de nuances, de finesse. Toute son interprétation est musicale au sens où elle joue des montées presque lyriques, des codas, des notes tenues. Elle se fait l’écho du passionnant travail sonore qui enveloppe le public, sans jamais l’illustrer, mais en lui offrant des voies d’interprétation possibles. Il fallait toute l’intelligence du jeu du comédien-metteur en scène pour ne pas aller droit dans le mur des considérations politiques de son “personnage”. Certaines paraissent faciles tant elles sont partagées (espérons-le), mais d’autres viennent appuyer sur les plaies des guerres d’indépendances, de l’ethnocentrisme blanc. 

Et Dieu ne pesait pas lourd est un vibrant, subtil et nécessaire hommage au théâtre, au poète, celui qui pense que “seule la poésie est (mon) Évangile”. Un sacré spectacle, en somme. 

Et Dieu ne pesait pas lourd de Dieudonné Niangouna

Mise en scène et interprétation : Frédéric R. Fisbach

Jusqu’au 29 juillet à 16 h 45 (sauf les lundis) au 11 Avignon 

Crédit photo © Simon-Gosselin 

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