Théâtre
Avignon OFF Kheireddine Lardjam démine enfin le récit national

Avignon OFF Kheireddine Lardjam démine enfin le récit national

03 July 2019 | PAR David Rofé-Sarfati

Depuis Page en Construction, Kheireddine Lardjam interroge un récit national rebelle à y intégrer la chronique de la génération issue de l’immigration. Aussi il s’empare de Désintégration, un texte de Ahmed Djouder et créé pour le OFF 2019, une pièce belle et édifiante qui honore cette édition d’Avignon et fait du bien à chacun de nous. 

– Nos parents ne joueront jamais au tennis, au badminton, au golf. Ils n’iront jamais au ski. Ils ne mangeront jamais dans un restaurant gastronomique. Ils n’achèteront jamais un bureau Louis-Philippe, une bergère Louis XV, des assiettes Guy Degrenne, des verres Baccarat, ni même un store Habitat,  clame résigné mais lucide un personnage, “issu de l’immigration”

Depuis les attentats et l’injonction anti-amalgame, nous nous étions assoupis à ne rien vouloir comprendre, nous tenant loin de la stigmatisation ou de l’amalgame. De peur de mal penser nous avions renoncer à penser. Le texte de Ahmed Djouder vient nous sauver de cette torpeur. Après des études de psychologie et de journalisme, Ahmed Djouder  exerce une dizaine d’années comme directeur de collection chez Flammarion. En 2006, il publie Désintégration. Le texte est brillant; il échappe aux faciles explications car il n’explique pas justement avant de décrire au plus prés. Le texte est indéniablement courageux, il rince à la façon d’une catharsis.

La pièce de Kheiredinne Lardjam en devient utile, indispensable même.  Elle se mesure dans une première partie au patriarcat archaïque, à la misogynie, à la peur du sexuel et du féminin, à la déficience des pères phobiques, à l’hypocondrie des mères soumises, à la valeur superfétatoire de la famille, à l’islam qui organise l’économie sexuelle et le repli sur soi. Avec humour et auto-dérision mais sans complaisance. Dans une seconde partie tout aussi clairvoyante nous nous confrontons à la douloureuse morsure du mépris, de la peur, de la ségrégation et du racisme. Entre le Charybde de la faute et le Scylla de la victimisation, Lardjam nous fait naviguer en eaux agitées mais tellement nécessaires.

Et comme à chaque fois avec Kheiredinne Lardjam, par des tableaux mêlant habilement décor, lumières, vidéo et musique, notre odyssée est une expérience du beau et du vivant. Où les trois comédiens talentueux restituent le texte et son esprit. Sans démonstration Linda Chaib, Azeddine Benamara (repéré dans le magnifique End/ignés) et Cédric Veschambre nous livrent un faisceau de témoignages bouleversants. Loin des lieux communs et des raccourcis, ils incarnent des destins, des parcours de vie. Et des désirs, ceux auquel ils renoncent et ceux qu’ils exigent, avec au centre le désir brûlant et paradoxal d’être français alors que déjà français.  

La pièce (vue au Théâtre du Creuzot)  est une proposition à penser qui honore le festival et qui s’impose au festivalier.

 

Désintégration
d’Ahmed Djouder / Kheireddine Lardjam

Avec Linda Chaib, Azeddine Benamara et Cédric Veschambre

à La Manufacture CHÂTEAU de St Chamand

2 bis, rue des écoles
84000 – Avignon 

DU 5 AU 25 JUILLET
DE 14H05 À 15H40

 

Crédit Photos Affiche

Credit photos : Lionel Souci

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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