Avec Imposture posthume, Joël Maillard nous offre un obscur et drolatique éclatement temporel qui donne le vertige
Joël Maillard, comédien et metteur en scène suisse, ainsi que directeur artistique de la compagnie SNAUT, a présenté une mise en voix particulièrement aboutie et prenante de sa nouvelle création, dans le cadre du Cabaret de curiosités Nos futurs, au Phénix de Valenciennes.
Dans l’ancien cinéma en briques rouges de Landrecies transformé en salle de spectacle pour l’occasion, un homme est assis, un peu à l’écart du plateau presque nu. Il nous regarde nous installer et se laisse regarder. Intrigants regard et présence, qui promettent déjà, dans le silence, que quelque chose de fort va advenir.
Joël Maillard se lève, ouvre la bouche et nous voilà partis pour une heure trente d’un voyage halluciné, entremêlant fiction, dystopie, projection dans le temps et récit intime, dans un équilibre exquis et jouissif. La texture de sa voix, son débit de parole unique, sa corporalité singulière nous transportent immédiatement dans un ailleurs.
Cet ailleurs, c’est l’après d’une révolution technologique qui a modifié le monde en profondeur. Nous sommes en 2099. Joël Maillard à 121 ans et est particulièrement bien conservé grâce à un nanoprocesseur semi-organique implanté dans son cerveau pour ralentir sa dégénérescence. Dans ce temps futur, les robots ont supplanté les êtres humains. La révolution, déjà initiée partiellement dans notre réel – en témoigne le point de départ de la création, à savoir, en 2016, l’arrivée en finale d’un concours littéraire au Japon d’un roman écrit par une intelligence artificielle – est ici poussée et fantasmée au possible…. Nous sommes également projetés (ou « dé-projetés » c’est selon) en 2060, à travers un dialogue cocasse entre deux politiques passablement déprimés, l’un suivi par un psy humain l’autre par un psy robot. Nous regagnons aussi l’année 2019, par à -coups, et c’est le Joël Maillard du présent qui prend la parole et se livre en tant que lui-même. Une intelligence artificielle, jouée dans l’ombre et sous forme de voix par Nicole Genovese, tisse sa toile entre les différents récits et hallucinations, tel un fil conducteur.
Dans son dossier de présentation du spectacle, Joël Maillard écrit : « Je m’intéresse à la prédiction vertigineuse (et partiellement déjà advenue) d’une humanité sous influence, encerclée de machines et de programmes dotés d’intelligence artificielle, capables d’anticiper nos pensées et nos désirs. Il n’échappe à personne que nous sommes à l’aube d’une révolution technologique qui modifiera en profondeur nos modes de vie. (…) Fort heureusement pour notre entendement, les bouleversements technologiques n’adviennent pas en un jour (du moins pas tous). »
Ce sont ces bouleversements, non-encore totalement survenus mais déjà bien entamés qui font que, face au vertige des possibles qui semblent n’avoir pas de limites, le vacillement s’opère devant nous et en nous. C’est l’impossibilité angoissante à contrôler le cours des choses, à ralentir la marche des avancées technologiques qui fait passer du rire à la stupeur. Les allers et venues entre temps futurs et temps présent créent la sensation inquiétante, grinçante mais étonnamment grisante d’être malaxé et broyé par le(s) temps, et que le(s) monde(s) qui nous attendent nous et ceux qui viendront après nous ouvriront des champs insoupçonnés, pour le meilleur et pour le pire.
La poésie bouleversante qui surgit sans que l’on s’y attende de cette exploration est la grande réussite de ce voyage. Le talent de Joël Maillard est épatant et c’est une joie de le voir laisser aller son texte hors de lui, l’éprouver, le questionner même, le suspendre parfois, le mettre en doute, l’affirmer aussi. Passant d’un personnage à un autre avec une aisance rare, tour à tour extrêmement précis, réglé comme du papier à musique, « pétaradant », à mourir de rire, puis soudain lent, extatique, sombre, cherchant en direct, répétant des mots, une phrase, laissant le silence s’installer pour mieux repartir dans un rythme effréné… Une partition de qualité qui promet, je l’espère, une belle longévité à Imposture posthume.
Le calendrier de la tournée:
26 au 31 mars 2019 – Lausanne
Arsenic – Centre d’art scénique contemporain
Festival Programme commun
Ma 20h – me, je, ve 19h30 – sa 14h – di 18h30
9 au 13 avril 2019 – Genève
Théâtre Saint-Gervais
Ma, je, sa 19h – me, ve 20h30
9 au 12 octobre 2019 – Paris
Centre culturel suisse
Horaires à définir
Printemps 2020 (dates à définir) – Valenciennes
Le Phénix, Scène nationale
Festival Cabaret de curiosités
© David Gagnebin-de Bons