Théâtre
Arnaud Michniak au Théâtre de la Colline : Déjà là

Arnaud Michniak au Théâtre de la Colline : Déjà là

06 February 2012 | PAR Smaranda Olcese

Arnaud Michniak, auteur, compositeur et interprète, dont le slam enragé et poétique s’est affirmé dès les albums de  Diabologum et ensuite dans Programme, fait régulièrement des incursions dans le monde de l’art contemporain et de l’image en mouvement. Ses textes sont traversés par une urgence à dire le monde ici et maintenant. Les mots tranchent des pans de réalité grise et tiède – les titres de ses disques en témoignent : Mon cerveau dans ma bouche (1999), L’Enfer tiède (2002) ou encore Agent réel (2010) – et ouvrent d’insoupçonnables espaces sensibles. Le pathos de ses performances musicales fonctionne comme un appel d’air irrésistible et salutaire, et rend électriques ses phrases déjà percutantes. On fantasmait du coup sur la transposition de cette énergie sur un plateau de théâtre.

Sous la direction d’Aurélia Guillet, le projet prend une tournure autrement intéressante. Au premier abord déceptive, il faut l’avouer, la pièce opère un travail plus subtil, met en place un cheminement trouble, prend le risque de nous perdre dans les limbes de l’hésitation et de l’impuissance à agir, dresse enfin un état des lieux d’emblée juste d’une génération désenchantée, tiraillée entre des pulsions et des conditionnements contradictoires. Elle parvient enfin à traduire dans un même geste créateur une force de présence et la tension d’un énorme potentiel. C’est une exercice ténu qui fait déborder les limites de la représentation : les comédiens sont déjà là quand les spectateurs viennent prendre place dans les gradins et, lorsqu’à la fin, ils descendent, s’assoient au bord du plateau, que l’un d’eux allume une cigarette, quelque chose d’inouï se produit : un déplacement infime et pourtant essentiel. Le sentiment que cela va enfin commencer s’impose contre toute évidence avec la force d’une certitude : ça nous regarde ! La pièce est finie et cela pourtant continue. Car les interrogations et la tourmente que les comédiens portent sur scène sont aussi les nôtres, nous habitent, nous taraudent, nous accompagnent au quotidien.

Déjà là s’atèle à la tâche peu évidente de transformer le plateau en caisse de résonance du désenchantement et des hésitations d’une génération qu’Arnaud Michniak, et avec lui tant d’autres, considèrent comme étant la sienne, cette génération qui avait écouté NTM et lu Deleuze. Son processus de création témoigne de cette volonté. Le premier geste fut de sortir dans la rue avec une caméra et faire des entretiens avec des passants. Il s’agissait aussi pour Aurélia Guillet de partir de nous-mêmes, de notre temps avec l’écriture d’Arnaud Michniak comme point de rencontre. Les improvisations collectives se sont inscrites dans un mouvement essentiel pour l’auteur qui avoue se méfier du langage parlé, et utiliser des mots pour révéler quelque chose : le fait qu’on est vivant, je pense ; qu’on est là et qu’on est vivant !

C’est une épreuve de force, à l’image du bras de fer qui s’engage sur le plateau au début de la pièce, à l’encontre des maux difficilement nommables car trop insidieux : la dépossession est multiple : c’est comme si on m’avait confisqué mon histoire et qu’on me la racontait… Les comédiens déploient une jeu très physique : on se met les pieds en l’air et la tête en bas, on se cogne aux murs, ou on se lance dans des soli désespérés, le corps parcouru de spasmes, on dépense sa nervosité dans une activité sportive. C’est partout d’une énergie bridée qu’il s’agit, doublée par une grande qualité d’écoute : on est en boucle !  Ce n’est pas ça, changer de distance, commencer par devenir réels sont autant de constats, d’injonctions chuchotées dans des micros ou criées à pleins poumons, qui entrent en résonance et dont la force agit comme une levure.

 

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