Après Jean-Luc Godard – Assourdissante extravagance au Théâtre de la Cité Internationale
Au Théâtre de la Cité Internationale, Eddy d’Aranjo propose une pièce de trois heures consacrée au cinéaste Jean-Luc Godard, qui ne laisse en réalité transparaître qu’un minuscule filament de son travail.
Le Mépris d’une certaine contemporanéité
Dans la petite salle du Théâtre de la Cité Internationale, une atmosphère austère s’installe à la vue des deux femmes qui occupent la scène. À la manière du générique du Mépris de Jean-Luc Godard, elles annoncent de leur voix monocorde la pièce qui va se jouer, se présentant en tant que régisseuse générale et scénographe/décoratrice. 5 minutes plus tard, un homme armé d’un masque à forme humaine (celle d’un vieillard) surgit sur la scène, et accompagne la scénographe/décoratrice sur le sol pour former une chorégraphie étrange qui fait peu de sens. Cette toute première partie du spectacle annonce parfaitement la suite des évènements : l’écran-rideau se lève, et des personnages commencent à jouer une pièce dramatique qui n’a ni queue ni tête. Eddy d’Aranjo ne semble faire aucun effort pour intéresser un tant soit peu le spectateur, faisant en sorte que ses personnages parlent avec une lenteur insupportable sur un fond de lumière tamisée qui pousse à un endormissement progressif.
Durant sa première heure et demie, Après Jean-Luc Godard fait le choix de ne rien raconter, et ne laisse transparaître aucune trace du cinéma de Godard à l’exception d’une réplique fameuse du Mépris («Tu les aimes mes fesses ?») qui est placée ici sans véritable contexte. Après presque deux heures de divagations, l’écran-rideau se ferme, et l’homme au masque de vieillard revient sur le devant de la scène, cette-fois ci complètement nue avec des excréments coulant le long de ses jambes. La séquence devient insupportable aux yeux du spectateur, pour qui il est difficile de regarder ailleurs tant l’espace de la scène est réduit. La pièce se complaît alors dans une mise en scène macabre et insoutenable où l’âme de Godard s’évapore complètement, et qui ferait passer le pire film du génie suisse pour un chef d’œuvre face à cette gêne insoutenable.
Adresse au spectateur
La troisième heure du spectacle prend une dimension totalement différente. Fini les élucubrations macabres et insensées. L’acteur qui joue l’homme au masque de vieillard revient sur le devant de la scène, cette fois-ci sans son masque. Il s’adresse directement au spectateur, lumières toutes allumées, et nous raconte la genèse du spectacle et de son rôle.
Il enchaîne ensuite sur une présentation du mythe, de la légende, du bien-nommé Jean-Luc Godard. Bien que générique et relativement inutile, le comédien passionne car le destin de Godard passionne tout autant. Le spectacle s’écarte enfin de cette dimension volontairement (ou pas ?) indécente pour ramener un peu d’humanité à l’ensemble. Du moins c’est ce qu’il se passe durant la première partie de son monologue. Le comédien finit par retourner derrière le rideau-écran qui se rallume pour continuer son monologue derrière la scène. Une demi-heure de speech commence alors, évoquant la Shoah et les photos prises par un déporté avant sa mort dans les fours crématoires. Si cette histoire reste passionnante, elle n’a rien à faire dans ce spectacle, où le lien n’est jamais réellement fait avec le parcours de Jean-Luc Godard, provoquant une nouvelle fois un malaise inexplicable. La pièce se conclut par le retour des comédiens sur la scène, cette-fois ci tous armés d’un masque de vieillard, progressant à pas très lents vers l’arrière, avant une dernière fermeture du rideau-écran. On ressort de ces trois heures de spectacle vidé, fatigué et complètement abasourdi par cette série d’évènements sans queue ni tête qui vient de se dérouler devant nos yeux.
Visuel : © Willy Vainqueur