Théâtre
Antigone, Satoshi Miyagi face au mur au Festival d’Avignon

Antigone, Satoshi Miyagi face au mur au Festival d’Avignon

07 July 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi a offert, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, en ouverture de la 71e édition du Festival d’Avignon, une Antigone qui se baigne autant dans la culture manga que dans les jardins zen.

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Cour d’honneur rime régulièrement avec Blockbuster. C’est un fait admis. A chaque direction son style et des pièces très contemporaines, comme Cesena d’Anne Teresa de Keersmeaker ou Inferno de Roméo Castellucci ne sont pas dans l’esthétique de la direction d’Olivier Py. En demandant à Miyagi de travailler ce terrifiant plateau, ce dernier savait qu’il s’adressait à un homme généreux, aux spectacles remplis d’humour et à l’esthétique partiellement traditionnelle. Mais accoler rire à Antigone paraît incongru. Alors ? Qu’allait-il faire ? Comment la culture asiatique allait-elle parler grec ?

Satoshi Miyagi s’empare donc d’Antigone. Le mythe de Sophocle, éternellement actuel résonne toujours de façon surprenante avec l’époque. On imagine bien qu’en 2017, Sophocle aurait choisi Donald Trump comme tyran idiot.  Et le metteur en scène le fait sien avec tout ce que le Japon peut offrir comme références.

Le plateau de la cour est ici pensé en plusieurs dimensions : la scène et le mur. Les deux vont être des espaces de jeux. Le premier au réel, le second par un théâtre d’ombres. Sur la scène devenue un lac dans une scénographie démente, une trentaine de comédiens-danseurs-percussionnistes-mimes évoluent.

Dès le départ, Satoshi Miyagi nous promène. A la façon des personnages de Dragonball Z, les comédiens nous résument Antigone en français, en parlant vraiment comme les héros de ces mangas animés et en cherchant les acclamations du public. Puis la langue japonaise revient et le sérieux avec. Tout n’est ici question que d’oppositions : hommes/femmes, justice des rois/ justice des dieux, l’humour/la peine.

Antigone refuse donc la sentence de son oncle, le roi Créon qui a décidé suite à la guerre fratricide qui a opposé Etéocle et Polynice de ne pas enterrer ce dernier. La menace est claire : quiconque l’enterrera, mourra. La fille dOedipe, sœur des morts, nièce du roi, refuse et devient le symbole de la résistance à la tyrannie.

La magie très enfantine de Satoshi Miyagi opère totalement dans cette oeuvre rendue ici très populaire et très accessible. Il choisit de dissocier les corps et les voix. Sur un rocher, Antigone, figure toute blanche, se reflétera en immense sur le mur, tout comme Hémon et Créon. Les corps sont tous vêtus de blanc, là encore dans une opposition tradition/modernité. Les costumes réalisés par Yumiko Komai, Mai Ooka et Reiko Kawai sont délirants : un kimono transparent sur une combinaison étanche faite de rainures et de reliefs, comme celles des super-héros des mangas, ceux qui devenaient immenses et faisaient des sauts inhumains.

Faire d’Antigone un théâtre d’images et musical est un beau pari, très bien relevé. Le texte est bien-sûr là, et invite les chœurs quand il se doit. Mais la force de Satoshi Miyagi  qui a ouvert ce soir son spectacle avec un hommage à Pierre Henry (“Psyché Rock” a retenti et s’est fait applaudir) est de revenir aux fondamentaux. On aura vu ce soir un comédien jouant un moine bouddhiste circuler sur la scène toute en eau de la Cour d’Honneur sur une planche lui servant de barque. On n’a pas vu souvent des gens naviguer dans la Cour d’Honneur… c’est un fait à rappeler. Et pourtant, l’idée est si belle.  Isabelle Huppert était une Médée qui avait elle aussi les pieds dans l’eau, dans la même cour, il y a 17 ans. Mais là, on pourrait s’y baigner.  On aura vu surtout la force d’Antigone campée par Micari qui choisit, qui ne nie pas.

Miyagi nous repose les questions de Sophocle en allégeant le manichéisme : qu’est-ce qu’une parole publique ? Se dédire est-il pire que la mort ? Refuser l’ordre est-il la bonne loi ? Est-ce qu’une femme a la même valeur qu’un homme ?

Miyagi signe ici un spectacle à la scénographie totalement adaptée à la Cour qui parlera à toutes les générations, et particulièrement aux adolescents. Alors oui, face à Tirésias aux cheveux fous qui montent jusqu’aux créneaux, face à Créon qui déborde la Fenêtre de l’indulgence, on vote oui. Oui à l’évolution de cette version d’Antigone qui va de l’humour jusqu’à la méditation, oui aux images sublimes qui nous autorisent à regarder le mur en face pendant de longues minutes, oui à la marche circulaire, au rythme des xylophones et des tambours, que Pina Bausch aurait adorés et qui ici viennent nous saluer. Les fantômes sont alors les rois, comme au tout début du spectacle, avant que tout commence, avant que le Festival ne se lance, quand ils semblaient flotter sur l’eau comme des âmes en errance.

Une ouverture populaire et non populiste, c’est exactement ce dont Olivier Py rêvait, Miyagi l’a fait.

Antigone, d’après Sophocle, Satoshi Miyagi Shizuoka
Cour d’honneur du Palais des papes
Spectacle en japonais surtitré en français
Durée : 1h45 estimée
Du 6 au 12 juillet,

Visuel : ANTIGONE – SATOSHI MIYAGI – (c) Takuma Uchida

Visuel 2 : ANTIGONE-SATOSHI MIYAGI ©Fabrice Sabre

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