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Aller au Théâtre de son salon : trois magnifiques propositions à ne pas manquer

Aller au Théâtre de son salon : trois magnifiques propositions à ne pas manquer

19 April 2021 | PAR David Rofé-Sarfati

Nous le savons : les captations télévisuelles de pièces de théâtre, fussent-elles magnifiquement réalisées, restent des à-peu-près. Cependant, trois propositions méritent sans aucun doute de servir de sessions de rattrapage ou de découverte. Voici trois pièces pleines d’un plaisir vrai de théâtre.

Dans l’espoir de pouvoir faire découvrir le très attendu Antoine et Cléopâtre que Célie Pauthe présentera aux Ateliers Berthier en mai, l’Odéon-Théâtre de l’Europe – sous la direction de Stéphane Braunschweig –  nous propose de redécouvrir la mise en scène de Bérénice de Jean Racine, créée en 2018 et programmée la même année à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. (Lien sur le site du théâtreNotre Critique ici)

Alors que son esplanade s’est déguisée en une agora où se retrouvent quelques dizaines d’activistes, artistes ou pas, précaires ou pas, en mal de cachets, d’actions ou de causes, l’Odéon a décidé de nous offrir la dernière mise en scène de son directeur. Lors d’une courte période, en septembre et octobre derniers, fut créé Iphigénie de Racine mise en scène par Stéphane Braunschweig ; le spectacle ne fut joué que 28 fois devant un public et une critique ravie.   La captation sera disponible le 26 avril à 20 h 50, en 1ère diffusion sur Culturebox TNT (canal 19) puis en replay sur les sites de France télévisions et de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. (Notre Critique ici)

Enfin, et c’est un immense cadeau, paradoxe du confinement et de la fermeture des théâtres :  La Collection de Harold Pinter, mise en scène par Ludovic Lagarde, est en replay sur France télévisions (lien de la captation), avant de pouvoir retrouver la pièce en salle.

Harold Pinter au sommet de son art dramatique.

Pièce du Prix Nobel de littérature 2005, Harold Pinter, La Collection nous entraîne dans les relations troubles de quatre personnages ambivalents incarnés par quatre interprètes, tous d’immenses  acteurs : Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot et Laurent Poitrenaux.

L’intrigue serait celle d’un roman noir, mais l’auteur de Trahisons ou du Monte-charge ne pourchasse pas des atmosphères au sein desquelles des caractères ciselés au couteau vivent des évènements hors du commun. Pinter s’intéresse aux âmes chancelantes et à la déréliction des êtres. Les personnages de Pinter sont toujours accompagnés et pourtant abandonnés à leur intime, tandis qu’ils traversent des événements aux apparences ordinaires, quelconques.

La scène est divisée en deux. À jardin, Stella et son mari James. À cour, Bill et Harry. Bill (Micha Lescot), est un dessinateur de mode d’une vingtaine d’années ; il vit avec Harry (Mathieu Amalric) un homme dans la quarantaine, dans un quartier huppé de Belgravia. De son côté, Stella, incarnée par Valérie Dashwood, designer elle aussi, belle trentenaire, vit avec James (Laurent Poitrenaux) son mari et partenaire d’affaires, dans leur appartement de banlieue à Chelsea.

Un soir, Harry reçoit un appel téléphonique troublant et anonyme. Peu après, un homme force sa porte, développe un discours ambigu et refuse de dire son nom. Peu à peu, les intentions de ce mystérieux inconnu – qui n’est autre que James- se précisent. Il veut découvrir la vérité. Il cherche à savoir si, lors d’un voyage d’affaires à Leeds, sa femme Stella et le jeune Bill ont, oui ou non, eu une relation sexuelle sans lendemain. En contrepoint à ce premier mystère, les rapports entre Harry et Bill ajoutent à l’énigme. 

La collection est une pièce salutaire.

Les comédiens, qui se frottent depuis longtemps les uns aux autres et qui s’estiment, sont formidables de justesse. La pièce rumine, au travers eux, le mensonge jusqu’au trognon, jusqu’au point de non-retour où la vérité refoulée, contingentée, rabaissée, plaisantée, se retrouve pervertie à jamais. Ludovic Lagarde plante la lame à vif de Pinter au sein d’une époque bousculée par les questions de vérité, de Fake news, de justice et de communautarisme ; et où les réseaux sociaux nous promettent de tout voir, de tout entendre. Leur apologie fait entendre le nouveau bruit du monde : l’authenticité et la spontanéité sont la nouvelle doctrine. Le metteur en scène s’amuse avec le texte et invente ses personnages au cœur de faux-semblants, au milieu des orgueils et des égoïsmes; il empile une collection de singularités hors d’un collectif qui dysfonctionne car la vérité se veut unique, les êtres univoques. De ce dire mutilé, le talent des comédiens finit son office.

Il y a une empoignade entre les mots, l’humour et le désespoir,  Jean Rochefort à propos de son rôle de Harry. 

Montée pour la première fois en 1965 par Claude Régy, avec Jean Rochefort, Delphine Seyrig, Bernard Fresson et Michel Bouquet, la pièce continue à faire frissonner. En peu de mots, avec de longues et fréquentes pauses, l’intrigue tourne en rond, pratique le surplace énigmatique de contingences jamais tranchées. Dans ce jeu de piste théâtral, entre réalisme et fictionnel, les vérités sont toujours soumises à interprétation; elles se dissolvent en un magma qui enserre les pensées du spectateur. Ce dernier suffoque d’incertitudes … et de plaisir.

Cette pièce saisit pour ces raisons-là qui racontent avec une simplicité de discours une vérité perdue. Chacun ment mais en jouit, chacun parle mais rumine. Et dans une lente pente aux accents à la Huysmans de décadence et d’ennui, on assiste à une répétition névrotique.  Une répétition qui finira en une chute théâtrale mais suspendue. Le propos de Pinter n’est ni social, ni politique, ni philosophique ; il veut montrer l’homme seul dans son face à face avec la société. Les personnages englués et empêchés dans le collectif doivent s’accepter tels qu’ils sont, c’est-à-dire impuissants à se comprendre et à se rejoindre. Pinter nous réinscrit dans ce qui structure une vie : comment donner un sens à ce que nous vivons lorsque nous ne connaissons pas la vérité de l’autre…

 

Trois pièces magnifiques donc en attendant la prochaine réouverture des théâtres.

 

La Collection, pièce d’Harold Pinter, traduction Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde, au Théâtre du Châtelet, sera diffusée en avant-première le lundi 15 mars à 21h05 sur la chaîne événementielle Culturebox (canal 19 de la TNT), puis en replay sur France 5.

Droits Photos Bérénice © Elizabeth Carecchio

Crédit Photo Iphigénie © Simon Gosselin 

Crédit Photo La collection © Gwendal-Le-Flem

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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