Théâtre
Alexandra Badea découvre l’inconscient au Festival d’Avignon

Alexandra Badea découvre l’inconscient au Festival d’Avignon

09 July 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Quais de Seine est après Thiaroye, le deuxième volet de la trilogie Points de non-retour de la metteuse en scène roumaine. Elle y interroge avec un peu trop de candeur la relation entre l’inconscient et la mémoire collective.

Alexandra Badea est pour le moment seule en scène avec son ordinateur. Le plateau est blanc. Une chaise, un lit médical et un mur. Elle tape un mail : “Je ne sais pas comment commencer cette lettre, je ne sais pas comment m’adresser à toi (…)”. Toi, c’est une jeune femme en analyse. Elle (Sophie Verbeeck) est bloquée. Elle n’arrive pas à traverser les ponts, particulièrement le pont Saint Michel.

Elle est donc en séjour psychiatrique et se confronte aux questions que lui pose son psy, Kader Lassina Touré. Le dispositif scénique, lui, vient ouvrir son passé. Le mur laisse apparaître ses grands-parents Amine Adjina et Madalina Constantin qui campent un couple mixte en 1961. Lui est algérien, elle est pied-noir et dans Paris, Papon nostalgique jette les Algériens dans la Seine. La jeune femme ne sait rien de l’histoire de ses grands-parents. Se met alors en place une enquête personnelle.

Alors, le sujet est très bien choisi mais il arrive en décalage avec son époque. Alexandra Badea semble affirmer que le tabou persiste sur le massacre et les rafles du 17 octobre 1961. Or, les historiens ont écrit, depuis longtemps: Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris. 17 octobre 1961, 1991 (réédition Points Seuil, 2007), ou encore Fabrice Riceputi, La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revient à la République, (Le passager clandestin, 2015).

2018 a été une année phare où les médias les plus grands publics ont rappelé cette histoire. Le traitement juste aurait été celui de faire l’histoire de la mémoire de ce déni, pas le traiter comme une actualité trouble. La jeune femme est documentariste, donc intellectuelle, et semble découvrir la lune. Autre incongruité, les questions du psy sont sans aucune prise avec la réalité de la cure analytique. Le praticien est poussif et impose des pistes qui forcent l’inconscient. Puisque le sujet de la pièce est justement de montrer, comme si c’était une nouvelle, que l’on sait le vrai malgré soi, il est étonnant de traiter avec une telle désinvolture la force du transfert.

On regrette également les effets de mise en scène très empruntés au monde des séries. Comme dans un épisode de n’importe quelle oeuvre à suspens, on découvre avant l’intéressée ce qui se trame. Le duo des grands-parents veut dire la difficulté à être ensemble, les mensonges aux familles, plus encore, à quel point la famille est un poison. Cela se déroule sous le filtre du passé, mais le jeu est trop théâtral pour nous toucher.

Ce qui choque ici, ce sont les faux-semblants. Tout est mis en scène de façon contemporaine mais rien ne l’est. Le jeu est très classique et la scénographie sans innovation. Sur le fond, il y a cette sensation de faire croire que ce théâtre apporte une révélation à la fois sur la mémoire collective et sur la psychanalyse, comme si ni Lacan , ni Denis Peschanski n’avaient rien écrit.

Là où Pascal Rambert orchestre sans passage en force la relation entre la grande et la petite histoire, Alexandra Badea offre une lecture trop littérale à un sujet qui aurait pu être en or.

 

Jusqu’au 12 au Théâtre Benoît-XII, à 22h. Durée : 1h40

Visuel : Points de non-retour [Quais de Seine] © Christophe Raynaud de Lage

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