A Montreuil, la Parole Errante revient à ses racines, pour ses probables derniers moments
Cette semaine, à la Parole Errante (Montreuil), des interprètes non-professionnels remplis d’envie, dirigés par Matthieu Aubert et Joël Zoumana, ont donné à entendre Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide, d’Armand Gatti. Un poème dramatique écrit par l’auteur en 2002, puis lu lors de l’inauguration de cette Maison permanente, dont les locaux ne vont plus être occupés de la même façon, à partir de début 2017. La troupe Algarade de Strasbourg est venue à leur suite, avec un spectacle aux thèmes similaires, à revoir en septembre dans l’Est.
Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide : l’introduction d’un cycle de pièces titré La Traversée des langages, imaginé par Armand Gatti, auteur-metteur en scène à l’oeuvre imposante, qui fut très souvent jouée par des non-professionnels aux parcours chaotiques. Depuis 1998, sa compagnie, la Parole Errante, était installée à Montreuil, à la Maison de l’Arbre, un lieu aménagé dans les anciens entrepôts de Georges Méliès. A la fin décembre 2016, le Conseil départemental va « récupérer » l’endroit, comme l’a rapporté, en mai dernier Jean-Pierre Thibaudat. C’est donc de manière un peu logique que le dernier « travail d’été » de la Parole Errante – un « stage d’expérience de recherche théâtrale et de tai-chi-chuan », traversant « la Résistance, la physique quantique, la Kabbale, la Révolution russe, l’astronomie, la forêt de la Brocéliande, etc. » – est retourné au texte qui avait servi à son inauguration.
Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide, donc. Un poème dramatique travaillé cet été à Montreuil, par des acteurs non-professionnels de tous âges, sous la direction d’Idéokilogramme, structure de production théâtrale installée à Montpellier. En août 2015, un chantier similaire avait donné, au sein du même lieu, une mise en scène très prenante du Cheval qui se suicide par le feu, autre texte signé par Gatti en 1977. En cette soirée de 2016, c’est le comédien Joël Zoumana, également co-metteur en scène aux côtés de Matthieu Aubert, qui a ouvert la danse avec flamme : il incarnait la didascalie du titre, désireuse de dialoguer avec les personnages de l’oeuvre, des « groupes ».
Ces entités dramatiques, comment les qualifier ? Groupes composés des métiers du théâtre, essayant d’entrer en résonance avec un autre groupe, celui des possibles… Ce dernier se fondant sur des figures réelles : celle de Jean Cavaillès, notamment, philosophe des mathématiques et fondateur, en 1942, du réseau de résistance Cohors, qui fut finalement arrêté et fusillé au Polygone d’Arras. Deux livres traversent le poème : un ouvrage jamais écrit, que Cavaillès rêvait d’entreprendre avec Emmy Noether ; et le Livre de la Création, connu aussi sous le nom de Sefer Yetsirah. Au long de l’action de Didascalie se promenant seule…, ces idées en mouvement s’interrogent entre elles, dans le cadre de la Parole Errante d’il y a dix ans, décrite dans le texte. Les oiseaux de la ville de Montreuil, incarnés par certains acteurs, participent aussi au dialogue.
Cette oeuvre en forme de préambule est destinée à poser l’enjeu du cycle La Traversée des langages : confronter la parole des scientifiques, des philosophes, des mathématiciens, des linguistes… à celle des poètes. Le style d’Armand Gatti demeure à la fois abstrait, très oral, et bien sûr taillé pour le collectif. La forêt de mots qui s’offre à nous, très vaste, marque. Mais surtout, sous nos yeux, l’oeuvre n’est apparue ni datée, ni vieillie : on aime qu’elle procède par questionnements, qu’elle tourne autour des mêmes motifs, qu’elle fasse entrer en résonance les forêts… Au cours des deux soirs de spectacle, les comédiens qui l’ont portée ont su lui donner beaucoup de rythme et d’humanité, inventant des espaces à partir de rien, avec force et simplicité, au cœur d’une scénographie ouverte, à la fois discrète et inspirante. On garde en tête des passages : le jeu physique de la Didascalie au départ ; le dialogue avec les marins du Cuirassé Potemkine, cachés dans les gradins ; l’intervention du Réel, figuré par une actrice nous demandant, en plein spectacle, si nous « n’aurions pas trouvé le livre qu’elle a oublié sous son siège » ; la figuration d’un arbre, au sol… D’autres finiront sans doute par revenir.
On se prend à rêver, dès lors, de voir le cycle remonté en entier : car recevoir cette langue dense amène toujours un peu de souffle, en nous. On peut prédire que cette oeuvre littéraire ne va pas de sitôt quitter les scènes théâtrales – ou non-théâtrales – et ce malgré les changements à venir à la Maison de l’Arbre pour 2017…
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Suite à Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide, la troupe Algarade de Strasbourg a interprété une partie de L’Inconnu n°5 du fossé des fusillés du pentagone d’Arras, autre texte d’Armand Gatti, écrit en 1996. (Chef de troupe : Moha Melhaa. Troupe composée de Kevin Back, Francisco Guerrero, Ane Groh, Maxime Knepfel, Alexandru Panfile, Sophie Poma, Nadège Rigault, Maria-Luisa Ugaz-Merino, Maxime Weinmann.) Ce travail – des « opéras », contenant toutes les thématiques du cycle La Traversée des langages – sera présenté les 29 et 30 septembre à Strasbourg (Maison de l’Amérique latine).
Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide a été interprété par Benoît Artaud, Alexeï Blajenov, Pierre Descamps, Estelle Guérot, Dominique Habib, Fotini Panoutsopoulou, Liliane Plaquet, Jemma Saïdi, Philippe Serra, Sarah Sourp, Dalila Tehami, Léa Visinet, Joël Zoumana. Mise en scène : Matthieu Aubert. Scénographie : Stéphane Gatti. Assistant à la mise en scène : Joël Zoumana. Stagiaire à la communication : Pierre Descamps. Coproduction : Idéokilogramme / La Parole errante.
Visuel : © Idéokilogramme / La Parole errante
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Vincelot
Ancien animateur du CRAFI de Toulouse (dit Cyril) et de l’ archéoptéryx de la rue des Lois (ça ne s’invente pas) de tout coeur avec vous. Je me sens comme entrelacé par nos histoires communes. Salut et fraternité.