Théâtre
A la FabricA, le Faust explosif et rebelle de Nicolas Stemann

A la FabricA, le Faust explosif et rebelle de Nicolas Stemann

13 July 2013 | PAR Christophe Candoni

Nicolas Stemann présente en ouverture de la nouvelle salle du festival d’Avignon le sensationnel Faust de Goethe qu’il a créé au Thalia Theater de Hambourg. En s’attaquant de manière iconoclaste et subversive à un pilier de la culture germanique, redouté et réputé injouable, y compris en Allemagne où la pièce intégrale n’est que très rarement donnée – la dernière date de 2000 dans une réalisation de Peter Stein – Stemann propose une aventure théâtrale foisonnante qui passionne.

Sebastian Rudolf paraît le premier en scène avec le texte de Goethe dans la célèbre édition jaune Reclam que tout bon étudiant allemand a eu un jour entre les mains. Brutalement, il le déchire et l’éparpille page après page sur le plateau vide. Peu après il tentera de le brûler avec un briquet. Voilà pour l’entrée en matière plutôt radicale qui place non sans provocation les 8h30 de spectacle à venir sous les signes de la déconstruction, de l’insolence, d’un irrespect malin et habile du canonique classique de Goethe.

Pour autant, l’irréductible oeuvre de Goethe ne se trouve nullement amoindrie par le traitement distancié du très turbulent metteur en scène allemand mais bien plutôt grandie. Car Nicolas Stemann pousse avec force et conviction l’impossible représentation du texte jusque dans ses limites tout comme le personnage de Faust le fait avec sa propre existence en pactisant avec le Diable.

Ce qu’il fait du Faust I est d’une remarquable intelligence et d’une invention constante. La pièce est concentrée sur trois acteurs seulement qui, au cours de longs monologues successifs, prennent en charge prodigieusement tous les personnages de la pièce. Chacun dans son registre est exceptionnel. Sebastian Rudolph est un Faust sensible et nerveux, éloigné du romantique dépressif, plus rageur, révolté, qui exprime ses pulsions destructrices et sa libre envie de saccage dans le maniement de haches et de pots de peinture. Plus malicieux et potache est Philipp Hochmair en diable tapageur. Inséparables et indissociables dans un jeu trouble et sensuel de relation homo-érotisée, ils proclament joyeusement leur pacte en se pelotant et se roulant des pelles. C’est ainsi que Faust, sage chercheur dépité de l’insignifiance de son savoir, dur opposant à l’autorité étatique et religieuse, découvre la jouissance des plaisirs terrestres et assouvit ses plus terribles tentations épicuriennes dans la cave d’Auerbach transformée en discothèque ou boite SM avant de découvrir l’amour absolu dans les bras de la Marguerite finement séductrice et déchirante de Patrycia Ziolkowska.

Après une heure d’entracte, place à Faust II. Plus ardue, plus complexe, éclatée et parfois confuse, la pièce passe pour un ovni théâtral. Stemann met en branle avec science et gourmandise les ressources les plus multiples du théâtre pour faire exister sur le plateau les étonnantes et hilarantes fantasmagories de la nuit de Walpurgis (« la plus grande scène de délire sous drogue de la littérature allemande » nous dit le metteur en scène !) au moyen d’une débauche d’accessoires, de marionnettes géantes, de masques et de déguisements fantasques, de musique et d’images live. La pièce décrit un monde en déclin et en mutation. C’est tout naturellement que Stemann n’occulte pas la similitude évidente entre la déliquescence de l’empire présenté par Goethe et l’état économique critique de l’Europe actuelle en crise. Sur scène, les puissants se livrent à d’orgiaques mascarades. Il pleut des paillettes d’or et des billets de banque tandis que le peuple manifeste. Toujours très ironique, Stemann représente Faust et Hélène de Troie en époux modèles avec leur enfant au bac à sable d’une résidence pavillonnaire vantant leur bonheur illusoire de petits bourgeois.

Cette deuxième partie tient autant du happening, que de la revue foutraque et déglinguée, de la parodie d’opéra, du show télévisé de mauvais goût, un vrai foutoir informe et inaudible comme métaphore pertinente de la vanité et le chaos du monde.

On se perd, c’est épuisant et impossible de tout suivre et comprendre mais la géniale performance des acteurs, leur plaisir du jeu, toujours sur l’instant, constamment étonnant et innovant, leur fougue, leur énergie, leur capacité à s’adapter, rebondir, jouer de tout, improviser plus ou moins aisément en français ont ravi le public avignonnais pour qui est spécialement apparu sur scène un drôle de Jean Vilar entre autres privates jokes. Certaines improvisations tombent à plat mais toujours avec un sens de l’humour et de la dérision irrésistible et jubilatoire. Très complice, Stemann tient lui-même le rôle du joyeux animateur de la soirée. Régler avec autant de maîtrise ce long et grand spectacle comme il le fait tient du génie. On pactiserait bien avec le diable pour voir nos metteurs en scène traiter avec autant d’audace et de liberté nos classiques.

A la FabricA. Rue Paul Achard.(15 minutes à pieds de la Porte Saint Roch)

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photos Krafft Angerer

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