Théâtre
« A nous deux maintenant » de Jonathan Capdevielle : théâtre tronc tranché

« A nous deux maintenant » de Jonathan Capdevielle : théâtre tronc tranché

24 November 2017 | PAR Simon Gerard

Dans le cadre du Festival d’Automne, Jonathan Capdevielle active les mécanismes virtuoses de son esthétique si personnelle pour livrer une étrange théâtralisation : celle d’Un Crime, roman policier de Georges Bernanos. À nous deux maintenant est une grande démonstration du processus tortueux de la création artistique, dont on peut distinguer les degrés de profondeur comme on compterait les cercles concentriques irréguliers d’un tronc coupé.

Capdevielle VS Bernanos

L’œuvre théâtrale de Capdevielle gravite autour d’un grand thème : celui du lien entre l’artiste et son œuvre. Cette obsession avait conduit Capdevielle à créer Saga et Adishatz, deux gestes personnels uniques, blocs artistiques participant d’un grand projet d’« autobiographie théâtrale ».

Mais pourquoi Bernanos, alors ? Pourquoi Capdevielle a-t-il choisi de théâtraliser un roman un peu oublié, quelque peu étriqué, et assumé par l’auteur lui-même comme étant purement alimentaire ? Pour le défi, peut-être, pour tester les limites d’une esthétique théâtrale qui jusque là était entièrement orientée vers la vie du metteur en scène ? Que se passerait il si Bernanos s’infiltrait de manière totalement incongrue dans le théâtre atypique et personnel de cet artiste autobiographe ?

Autant de questions qui éloignent toujours plus la pièce de Capdevielle du roman dont elle est censée être l’adaptation théâtrale. On n’assiste pas à À nous deux maintenant comme on suit un roman policier. Sur scène se joue un combat esthétique et fictif entre Georges Bernanos et Jonathan Capdevielle — combat dont Un Crime est à la fois le prétexte et le champ de bataille.

De là, on comprend un peu mieux ce qu’il se passe dans À nous deux maintenant. On comprend que les incises comiques du personnage de Georges Bernanos dans l’intrigue du roman qu’il a tant de mal à achever sont une tentative pour Capdevielle d’appliquer à autrui ce traitement dramaturgique qu’il s’est imposé à lui-même dans ses spectacles précédents ; on comprend que les failles spatiotemporelles qui s’ouvrent parfois fugitivement sur le plateau, laissant entrevoir des éclats de notre réalité (un baladeur MP3, un morceau de dancefloor, une combinaison de motard, une scène apocalyptique de feria moderne sur le rythme d’En Feu de Soprano), sont comme les restes d’une lutte d’appropriation de l’œuvre en cours d’adaptation. Plus qu’une intrigue policière, À nous deux maintenant est une pièce sur le processus de création du metteur en scène ; un méta-agôn.

Une fugue virtuose

Au service de ce projet artistiquement vertigineux réside un agencement organique et fuyant de la théâtralité — désormais marque de fabrique de Capdevielle. Les lumières, les sons, les voix, les mouvements, tous ces éléments sans lesquels le théâtre n’est rien s’écoulent individuellement sur scène. L’incroyable troupe d’acteurs participe de cet exploit : chacun jongle avec les voix, les rôles, les accents et les mouvements dans un effort de dissociation corporelle et vocale permanent. Il en résulte un spectacle dont le sens naît doucement, par vagues successives, au rythme des nappes d’un synthétiseur Moog englobant et hypnotique.

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