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Rodolphe Dana : “voir des spectacles c’est aussi renouer avec le présent”

Rodolphe Dana : “voir des spectacles c’est aussi renouer avec le présent”

15 April 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Pour la sixième fois, le Festival Eldorado se tiendra du 26 au 30 avril au Théâtre de Lorient. Un festival par et pour la jeunesse, ouvert, participatif, décontracté, enthousiaste, libre, porté par les jeunes. Rodolphe Dana nous parle de ce moment aussi fort qu’un rêve.

Dates, élections, guerre, Covid n’est-ce pas bizarre de préparer un festival dans un tel contexte, l’Eldorado semble loin n’est-ce pas ?

Lors de ces deux dernières années, nous n’avons pas pu faire de festival. Cela a laissé des traces, avec les jeunes intervenants bien sûr, mais plus largement avec le public. Le retour dans les salles est encore un peu timide, un peu balbutiant. Ajoutez à cela la guerre, les spectateurs qui ont aussi pris des habitudes culturelles différentes, et si l’on ajoute Netflix et les plateformes, cela crée plutôt un sentiment de repli sur soi. Je ne sais pas combien de temps cela va durer ; c’est difficile parce qu’on n’a pas de recul, on est en plein dedans.

Quel peut être l’apport du théâtre dans ce marasme ?

Ce que l’on s’efforce de faire au théâtre c’est de continuer à se battre et de continuer à croire au fait que l’art, les pièces de théâtre, les histoires qu’on raconte sont importants et sont nécessaires. Ce sont dans ces lieux où le théâtre se donne que nous pouvons partager des émotions, être en désaccord, poser des questionnements, révéler des doutes, des inquiétudes. Je pense que nous sommes vraiment à un virage suite à ces deux années et le contexte que vous avez évoqué. Nous avons besoin des politiques publiques, d’un accompagnement sérieux de la part des collectivités et des tutelles. Que ces politiques permettent au théâtre de continuer d’occuper une place dans la cité et dans la société. La chute de la lecture va de pair avec l’omniprésence des appareils numériques qui prennent une place dans nos vies. Nous sommes à un tournant culturel par rapport à présence de l’art dans notre société. C’est pour ça que je suis autant attaché à ce festival-là, parce que les jeunes qui participent sont le public d’aujourd’hui, mais surtout le public de demain. Je pense qu’il y a un enjeu considérable à les familiariser avec le théâtre.

C’est la sixième édition, Covid compris. Quel est votre Eldorado ? Ce n’est pas un mot creux, c’est un imaginaire, un merveilleux. C’est un territoire qui n’existe pas.

Oui c’est ça. C’est aussi une réflexion sur l’une des phases de la vie. Dans ma carrière, j’ai adapté un roman de Laurent Mauvignier qui s’appelle Loin d’eux. Ce livre, comme la pièce, raconte l’histoire un peu tragique du passage de l’adolescence au monde adulte. Ce sont surtout les thématiques qui sont au cœur de ces spectacles-là et qui racontent bien le devenir, le passage entre l’enfance et le monde adulte. Et quel adulte a-t-on envie de devenir ? Quelle est notre personnalité ? Je pense que le théâtre sert aussi à ça : à creuser notre singularité, affiner notre sensibilité,  à savoir quel être humain on veut devenir. 

Est-ce le fil rouge de cette édition ?

En regardant l’édition à venir, je vois que c’est cette question-là qui sous-tend le projet, c’est-à-dire quel homme, quelle femme souhaite-t-on devenir demain ? Et je pense que l’art est un moyen de se connaître, de mieux se connaître. Ce festival laisse aussi de la liberté à des adolescents à qui on somme, alors qu’ils sont en troisième, de décider qui ils seront une fois adulte. C’est un contresens neurologique et psychologique. Un adolescent ne peut pas se projeter au-delà de trois semaines. Le festival c’est aussi le plaisir d’être au plateau pour eux, voir des spectacles c’est aussi renouer avec le présent. 

La particularité de votre festival est de parler de jeunesse, mais également d’être fabriqué par des adolescents. 

À chaque édition, il y a une ou deux créations avec des jeunes acteurs, des jeunes actrices qui seront au plateau. Ce sont des amateurs, et de tout âge. Il y a une production où il y a des enfants entre 8 et 18 ans, d’autres entre 15 et 25. Cela concerne des enfants et adolescents qui ont l’appétence pour le plateau. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.  Alors, nous avons créé un comité qu’on appelle un club Eldo, où il y a une cinquantaine de jeunes  gens qui vont participer au festival, mais en investissant d’autres corps de métiers. Certains vont être à la communication, auprès des publics. D’autres vont aider pour les catering, d’autres seront plus vers la technique. 

Votre fonctionnement est 100% collaboratif ?

Exactement ! Nous avons à cœur que chacun se fasse une place dans le festival, sur scène ou autour de la scène. Au fil des ans, nous avons ouvert un peu cet éventail-là pour permettre à tous d’exprimer leurs sensibilités différentes.

Est-ce qu’Eldorado se pense avec des établissements scolaires ?

Les partenariats avec les établissements scolaires se font tout au long de l’année. Il font un travail de relais aussi, avec des profs passionnés. Tout cet éveil passe aussi par des enseignants. Tous les enfants ne grandissent pas dans un bouillon de culture. Et en l’occurrence pour le festival c’était mener un double travail : mener ce travail concret tout au long de l’année avec certains établissements, mais aussi le permettre avec des jeunes qui viennent d’ailleurs sans la fonction scolaire. On sait par exemple que la dernière soirée il va y avoir la boum, qui va être organisée par les jeunes qui prennent seuls en main cet événement, et évidemment, je leur laisse le libre choix de la playlist ! (rires)

Votre programmation est aussi institutionnelle. On retrouve Le Grand Cerf Bleu et Marinette Dozeville par exemple. Donc des spectacles qui font partie des champs de la danse et de la création plutôt très contemporaine. Comment avez-vous pensé cette partie plus classique de la programmation ?

Les spectacles ne sont pas le cœur du festival, c’est plutôt le théâtre comme lieu de vie tout au long de la journée. Il devient un endroit où les jeunes vont pouvoir “chiller”, se prendre en photo, lire. L’idée c’est de faire vivre le théâtre pas uniquement au moment de la représentation. Quant aux représentations, quant aux spectacles, il y en a également deux autres qui sont faits par des comédiens, et des metteurs en scène avec des jeunes amateurs, mais le choix se fait sur des thématiques aussi. Après il y a des convergences,  par exemple Tiphaine Raffier, notre artiste associée, a eu la volonté de recréer ses premiers spectacles qui n’avaient pas eu à l’époque beaucoup de visibilité. La chanson [reboot] traverse aussi les questions existentielles dont nous parlions. Cela raconte l’aventure de trois jeunes femmes qui habitent dans cette ville nouvelle autour de Marne-la-Vallée, et qui veulent s’émanciper de ce monde en carton-pâte influencé par Disney. Le sujet est l’émancipation de ces jeunes femmes qui ont des aspirations artistiques. Ce projet-là correspond complètement à la thématique du festival. 

La thématique du festival, est-ce la jeunesse en général ou est-ce plus précis que ça ? Est-ce que c’est plutôt cette idée d’émancipation, le fait de grandir, qui est peut-être un peu plus compliquée ? 

Il y a de ça, mais pas seulement. Par exemple, le projet de Marinette Dozeville est aussi un rapport au corps, c’est un peu plus large. L’idée c’était de choisir des projets qui s’incarnent, qui se vivent. À un âge où effectivement le corps et ses pulsions ne sont pas toujours très cohérents et on sent que ça peut déborder quand c’est trop réprimé, ce n’est pas bon. C’est une façon d’exorciser toutes les questions, tous les tourments ou toutes les joies qu’on peut vivre à cet âge-là. Mais ce n’est pas un spectacle fermé aux adultes. Au contraire. C’est important que les parents puissent voir jouer leurs enfants. L’idée est de choisir des projets aussi festifs, qui nous guident même si ça apporte des questions parfois graves, mais de les vivre de manière un peu légère. 

Comment les spectacles débordent-ils  ? 

L’idée est de casser le temps court de la représentation, d’éviter que le public vienne uniquement voir un spectacle. Le festival permet de voir le plus de choses possible, il y a des endroits avec des espaces extérieurs avec des transats, il y aura un glacier, quelqu’un qui va organiser des jeux de rôles en extérieur. C’est une ambition éternelle, de faire que le théâtre soit un endroit qui ne doit pas ou qui ne doit plus impressionner…

C’est important de se demander comment faire pour que le public se l’autorise. Mais vous avez déjà une réponse, en faisant en sorte que ces très jeunes gens soient à la fois acteurs et spectateurs, et qu’ils vont a priori emmener leurs familles…

Oui, c’est comme ça que ça marche, dans un monde qui est de plus en plus individualisé. Où l’endroit de la maison prend de plus en plus de place dans nos vies.

Ce que vous faites avec ce festival c’est de montrer que le théâtre est un événement d’Eldorado, c’est un imaginaire qui s’ouvre, c’est un merveilleux. 

J’espère qu’on va renouer, qu’il y aura du monde ! Après, on n’a pas le choix, on ne peut pas être autre chose qu’optimistes ! Alors bien sûr, il arrive de s’ennuyer, mais on a pas mal de projets plus hybrides, plus ludiques, plus joyeux, pour faire plus simple. C’est important que les artistes ne se prennent pas toujours pour des gens très sérieux. Il faut faire attention à ça !
 
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Visuel : © Affiche du festival 
 
 
 
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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