Performance
Julia Perazzini porte ses morts à Actoral

Julia Perazzini porte ses morts à Actoral

04 October 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Au Festival Actoral qui se tient à Marseille, partout dans la ville, jusqu’au 9 octobre, Julia Perazzini nous invitait deux soirs seulement à son Souper. Un dialogue avec l’au-delà qui modernise diablement la façon de parler du deuil sur un plateau.

“Donne à ce qui te touche le pouvoir de te faire penser”

La mort c’est le sujet du théâtre par essence (avec l’amour me rétorquerez vous !), souvent cela est très classique, formel et triste. La performeuse, ici bien accompagnée (création lumière faite par Philippe Gladieux et regard extérieur par Yves-Noël Genod), nous entraîne dans son immense drap de velours épais et vert sombre dans les plis et les replis des relations complexes que nous entretenons avec nos morts. Elle porte en elle son grand frère, décédé à huit mois. 

Alors, on connait le travail de Julia Perazzini, dont se rapproche d’ailleurs celui d’Anne Corté (elles étaient programmées à la suite samedi 2 octobre à Actoral, à la Friche). Elle s’amuse avec la ventriloquie, et avec les voix multiples. Mais Le souper n’a rien à voir avec sa dernière pièce, Holes &Hills qui se plaçait plus dans les méthodes de l’Encyclopédie de la Parole. 

Et ça commence comme ça, par une chanson qu’elle “lui” chante au dessus de son “berceau”, “Your song”, d’Elton John… et donc ça commence fort. Elle est forte cette image, de cette femme, adulte, assise en posture japonaise qui regarde le creux fait par ses mains sur le tissu immense et lui parle.

“Manquer de quelqu’un qu’on ne connait pas”

En ventriloquie et en voix directe, elle parle donc avec son frère né et mort avant elle. Elle pointe par la performance, par le décalage entre l’image et le son, ce droit crucial et vital : manquer de quelqu’un qu’on ne connait pas, et qui ne devrait pas manquer. La pièce parle de ceux qui restent, de la culpabilité et de l’incompréhension des vivants. Elle dit : “Cela n’a aucun sens, certains meurent à 80 ans et d’autres à 8 mois”. Et c’est insupportable, pourquoi certains ont le droit de mourir de vieillesse quand d’autres sont arrachés à la vie avant de l’avoir vécue, ou totalement vécue ? Et bien Le souper vient dire qu’il n’y a pas de “parce que” à ce pourquoi, et que si même Orphée n’a pas réussi à ramener Eurydice des Enfers, alors qui ?

Images d’un au-delà

Cette idée de faire décor avec un démesuré drap de velours vert forêt vient de Vincent Deblue qui assiste Julia Perazzini à la scénographie et qui a d’ailleurs repris la lumière de la pièce. L’idée de faire mouvement avec et d’y arriver, c’est Julia. Ce tissu devient tout : robe de reine, lit, tente où pointent deux corps comme par magie.

La pièce est étonnamment douce et légère, drôle aussi, sincère surtout. Il ne s’agit pas de faire tombe et encore moins mausolée, mais d’interroger sérieusement ce vide laissé et de le sublimer, en danse et en chant. Le sujet finalement du Souper ne serait-il pas de trouver la place juste pour chacun, les vivants et les morts, eux étant par définition toujours plus nombreux que ceux qui respirent. Que faut-il faire, les laisser reposer en paix surement, mais sur velours alors.

 

A voir :

– du 6 au 9 octobre au Théâtre Saint-Gervais, Genève
– les 17 et 18 novembre au Carreau du Temple avec le Centre culturel suisse à Paris
– du 4 au 8 mai 2022 à l’Arsenic, Lausanne

– Les 25 et 26 mai au centre culturel l’ABC, La Chaux-de-Fond en partenariat avec le Club 44 (le 24 mai conférence de Vinciane Despret au Club 44 et bord de scène le 25 mai au centre culturel l’ABC)

 

Visuel : © Dorothée Thébert 

 
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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