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[Interview] Anna Gaïotti “Créer le trouble est une énorme pudeur”

[Interview] Anna Gaïotti “Créer le trouble est une énorme pudeur”

20 December 2016 | PAR Amelie Blaustein Niddam

En novembre dernier, lors du festival Les Inaccoutumés, nous découvrions saisis le travail de la troublante Anna Gaïotti. Nous avons eu envie d’en savoir plus sur cette performeuse qui n’a pas froid aux yeux. Rencontre.

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Pour Plus de muses mais un troupeau de muets,  Mark Tompkins est au générique, quelle est sa fonction ?

Je travaille avec MarK depuis 2013. Je l’ai rencontré à un stage d’été. Depuis 2014 on est tout le temps ensemble pour penser un projet.  On essaie de développer l’improvisation. Lui travaille cette pratique chez lui en  Franche-Comté, dans la forêt et moi je travaille aussi beaucoup là-dessus.

Et comment s’est passée la rencontre avec la Ménagerie de Verre ? Est-ce que le spectacle a été créé pour elle ?

La Ménagerie est le premier co-producteur de cette création. Mais si tout a été fait pour la ménagerie, ce propre projet est avant tout le mien, j’avais commencé à y travailler à PAF (Performing Art Forum) qui est un lieu de résidence. Tous les matériaux qui sont dedans sont des choses avec lesquelles je travaille beaucoup :  la poésie sonore,  les feuilles d’or, les grelots sont arrivés au fur et à mesure des performances, des travaux photographiques… Puis j’ai voulu l’allier dans un spectacle.

Vous êtes une danseuse formidable et votre présence au plateau est d’une puissance folle. D’où venez-vous ? Dans cette pièce beaucoup de postures semblent tirées du yoga.

Moi je viens des arts visuels, j’ai commencé la danse à 24 ans. C’est la performance qui m’a amenée vers la danse. J’ai commencé par le classique, par nécessité. Mais je ne travaille pas avec le yoga même si j’aime travailler avec la lenteur et le silence.  J’aime travailler dans l’imaginaire du corps avec le poids des os, du corps. La contorsion vient du poids du corps. J’ai beaucoup travaillé seule en studio, je partais de rien :  j’étudiais simplement ma façon de me lever et de m’articuler. J’ai une compréhension du squelette qui s’extériorise… Je travaille beaucoup avec l’imaginaire, la poésie m’aide à m’encrer dans un imaginaire qui est à la fois liquide et très minéral.

La charge sexuelle de Plus de muses mais un troupeau de muets est intense. Mais votre rapport est cul  n’est jamais vulgaire ni même porno.

Je travaille beaucoup avec l’érotisme et la pornographie personnelle. J’aime montrer le corps et surtout le corps érotique qui est à la limite de l’écœurement ou du grotesque… Si c’est érotique c’est qu’il y a quelque chose de suspendu. Je travaille depuis longtemps avec la nudité mais toujours coupée. Soit le buste, soit le sexe ou l’anus… Mais jamais totalement. Là non plus je ne suis pas totalement nue comme mes jambes sont dans le noir. Ce qui me fascine est comment je peux cacher quelque chose pour que cela relève un penchant érotique ?

Lorsque vous venez saluer votre pudeur surgit, cela est amusant même, tant la distance entre vous et votre performance est grande.

Je me suis rendu compte qu’autant m’exposer physiquement relevait d’une grande pudeur émotionnelle en réalité. La question du genre, est aussi une grande pudeur. Je cherche à valoriser un entre-deux, une ambiguïté. Que ce soit dans les figures mythologiques ou dans l’androgynie. Créer le trouble est une énorme pudeur. La totale nudité est arrivée lentement. Je suis passée par plein de phases ….j’ai eu un string, un sexe d’homme même un god. Et finalement la nudité est arrivée.

Vous jouez de votre corps très mince et multipliez des allusions claires au monde gay masculin. Êtes-vous sensible au sujet du Sida et au fait qu’aujourd’hui la prévention doit redevenir un combat ?

Le sida est un sujet qui me touche. Forcement cela est lié à mes pratiques sexuelles… Je peux avoir plusieurs partenaires donc c’est forcement un sujet qui est important. En plus le sida a un renouveau aujourd’hui. J’aime bien cette idée de double transformation quand je porte des chaussures de Drag queen qui sont en général portées par des hommes, mais des hommes qui se veulent femmes… Ça a été un gros travail d’apprivoiser ces chaussures. Tout comme ces grelots… C’est un travail très sensuel parce qu’ils sont directement accrochés à mon sexe, à mon anus. Je les sens bouger, danser. Des fois je ne bouge presque pas mais je les sens bouger. C’est vraiment un instrument à apprivoiser aussi.

Et le titre du spectacle : Plus de muses mais un troupeau de muets, c’est extrait de l’un de vos poèmes ?

C’est une phrase dans un poème et un poème résumé en une seule phrase. Je ne suis pas féministe enfin je ne fais parti d’aucun courant féministe. La place de la femme c’est une façon détournée de parler de la chaire elle-même. Mon but c’est simplement de montrer la chaire.

Il y a du cynisme dans cette espèce de regard unique sur un corps.  Je veux voir un corps de vivants pas forcement de femmes. Quand je parle de troupeau de “muets” c’est par rapport à une réalité contemporaine. C’est une critique par rapport à ce que j’appelle “l’uni-voracité”  : communication, politique, capitaliste et même économique en fait…

Votre spectacle résonne aussi cette uni-voracité, il y a de la violence, ou plutôt il y a de la mort.

Mon texte a été écrit à l’été 2015 avant les attentats mais il a pris un sacré coup depuis. Je travaille depuis très longtemps sur la guerre et le langage qui passe à travers tout ça. J’ai beaucoup travaillé sur le langage des enfants soldats à la fois poétique parce que naïf et aussi emprisonné d’une violence et d’une misère.  A partir de ce moment-là je me suis dit qu’il ne fallait pas hésiter à travailler avec beaucoup de contraires.  Ce qu’on peut faire maintenant c’est danser. La question du deuil est arrivée sur les moments de ma création, elle se traduit avec la danse sur les chaussures à plateforme qui est en fait une danse macabre. J’ai perdu une personne proche juste après le 13 novembre donc la question du deuil s’est vraiment posée. Comment faire lever les morts ? Les plateformes c’étaient pour moi comment danser sur le ventre d’un mort, car le ventre d’un mort est très mou. Je ne le prends pas de manière hyper triste mais le deuil est un moyen de se réapproprier l’instant, de réapprivoiser les morts.

 Anna sera en spectacle les  27 et 28 janvier à 20h au CCN de Tour pour  BAMBI UN DRAME FAMILIAL de Mark Tompkins – création-CCNT

Visuel : ©Menagerie de Verre

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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