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La manège forain revisité par des plasticiens un peu zinzins: le “Caroussel Titanos” ne se prend pas au sérieux… et tant mieux!

La manège forain revisité par des plasticiens un peu zinzins: le “Caroussel Titanos” ne se prend pas au sérieux… et tant mieux!

23 July 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Invité récurrent des festivals depuis quelques saisons, le Caroussel Titanos, de la compagnie du même nom, est une création de 2014 dont la route a croisé celle du festival RéciDives cette année. Né d’une volonté de découdre les codes de l’univers forain, en s’appuyant sur une esthétique de l’approxibidouille à tendance récupérative, cette attraction fixe se présente comme un manège tout-à-fait classique… qui serait échappé d’une dimension parallèle, mi zinzin mi burtonienne. Réjouissant au moins autant pour les adultes que pour les enfants. Souriez : c’est de l’art qui ne se prend pas au sérieux !

Bienvenue en déglinguerie…

Comme le rappelle si bien au micro l’animateur à casquette et santiags qui se tient aux manettes de ce manège déglingos, « Le manège n’est pas ouvert qu’aux enfants, les humains peuvent participer aussi ! »

A condition, cependant, de respecter les règles, car, en effet, comme nous rappelle ce même personnage, « la sécurité d’abord ! » Primo : il est interdit de n’pas s’amuser. Deuzio : il faut avoir ses vaccins à jour, particulièrement le vaccin anti-tétanique.

Et, en effet, quand le bras articulé de l’une des montures biscornues se décroche, quand l’armoire à fusibles explose, quand l’assistant un peu maladroit surnommé « L’Alsacien » se prend les pieds dans les câbles, on se dit que ce n’est pas de trop que d’être bien vacciné. Et qu’une bonne assurance est sans doute aussi recommandable.

Second degré à mouvement circulaire

On l’aura compris, la compagnie Titanos a conçu l’animation de son manège sur le mode de la satyre, et renvoie à la figure du manège forain traditionnel, vernis, propre, un peu niais, une image déformée mais bien plus intéressante. Faite de déglingue, d’humour noir, d’ironie à budget discount, mais non sans une certaine finesse.

En l’occurrence, jouer sur les codes du manège traditionnel, c’est faire semblant de maltraiter les enfants – on lève immédiatement le doute, les bambins ne s’y trompent pas et s’éclatent à faire leurs tours de manège – mais c’est surtout jouer sur les attentes des adultes. C’est malmener leurs souvenirs d’enfance et titiller leur crainte que leur progéniture soit exposée au moindre danger – ou à un humour pas tout-à-fait conformiste –, c’est faire un pied de nez au politiquement correct et au dogme qui veut que l’on traite les enfants comme des nunuches incapables de discernement (entre le lard et le cochon), bâtis en porcelaine fine de surcroît.

Une installation, mais une installation avec du jeu

Le pompon discount, les lots très improbables et les concours qui le sont tout autant, tout cela s’adresse finalement beaucoup plus aux adultes qu’aux enfants… La compagnie Titanos a fini par établir une routine d’animation qui joue plutôt astucieusement du double niveau de lecture, et qui manie l’ironie et le décalage avec virtuosité.

Il est d’ailleurs assez incroyable de voir avec quelle énergie et avec quelle justesse ces artistes, qui ne viennent majoritairement pas des arts de la scène, délivrent leur interprétation. Cela demande de la finesse de ne pas pousser les enfants trop loin et de ne pas aller jusqu’au point où ils pourraient prendre peur, et de la bouteille pour jouer avec les accidents et les réactions du public. Tels de vrais forains, les trois plaisantins s’en sortent avec les honneurs.

L’inquiétante étrangeté d’une esthétique déglinguée

Mais il faut également mentionner une autre dimension du spectacle, au moins aussi intéressante : celle du travail plastique. D’ailleurs, Pierre Galotte, l’un des auteurs ayant initié ce projet au sein du collectif, explique très bien que la démarche de la compagnie part de l’objet, et de sa réalisation, bien avant qu’une dramaturgie ne se tisse autour.

L’objet est donc premier, et ce n’est pas un hasard, car les Titanos sont, pour beaucoup, des plasticiens et autres artistes visuels. Le travail de détournement de l’univers forain commence donc par là : une recherche, sur une base bien connue, des réinterprétations possibles.

A l’univers poli et enfantin, les Titanos ont donc préféré l’hétéroclite, le bizarre, le bricolé, le recyclé. Comme si un concepteur de manège s’était affranchi des objectifs assignés et des représentations de ce qui est convenable, pour ne plus garder d’horizon que celui de l’amusement et l’art de la débrouille.

Cette esthétique de l’objet pauvre mais ludique accouche de montures très azimutées pour remplacer les traditionnels chevaux de bois : gorille mécanique, tractopelle, baudet mi-duveteux mi-pelé (joliment habillé par Lesli Baechel, comme les autres)… Le bestiaire cabossé tourne et tourne sous des dentelles et des tapisseries défraîchies, rapiécées ensemble. L’ensemble tient du Tim Burton pour son inquiétante inadéquation avec les images habituellement associées à un manège forain.

Ce n’est pas l’être filiforme, mi-loup mi-diablotin, qui pédale sur son monocycle au faîte du manège, qui viendra contredire cette description… (on le doit au talent de Valentin Malartre)

Le plaisir sans les complications

Ce qui compte, ici, au final, c’est l’amusement de tous, dans le – relatif – respect de chacun.e. Haut en couleurs et en bruits bizarres, susceptible de tous les accompagnements musicaux au gré des fantaisies de qui tient les manettes, ce manège déglingué et diaboliquement amusant est susceptible de se poser sur tous les coins de places de France et de Navarre…

Ouvrez l’œil, et le bon, le long des routes de l’été : ce manège où vous envoyez innocemment vos chères têtes blondes pourrait être bien moins inoffensif qu’il n’y paraît…

L’une des autres attractions de la compagnie Titanos, Ouroboros, « cérémonie mystico-sidérurgique sur roue foraine », sera cette semaine à Chalon Dans La Rue : on ne peut trop recommander d’y jeter un œil… au risque de perdre la tête ?

 

DISTRIBUTION

Auteurs – Constructeurs : Lesli BEACHEL, Pierre GALOTTE, Valentin MALARTRE, Richard REWERS et Gaël RICHARD
Interprètes : Lesli BAECHEL, Pierre GALOTTE, Valentin MALARTRE
Ambianceurs : Damien ELCOCK et Axel OLIVERES
Production : Lucie LAFAURIE et Marie MENORET

Visuel: © Clément Martin

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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