Verdi en grande messe à Liège
En contrepoint de la reprise du Mariage secret, l’Opéra royal de Wallonie programme également deux concerts du Requiem de Verdi, sous la direction vigoureuse de Speranza Scappucci, la directrice musicale de la maison.
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Si la Missa da Requiem de Verdi a été conçue en hommage à Manzoni, grand écrivain qui avait participé, aux côtés du compositeur, à l’unité italienne, à partir d’une première esquisse, Libera me, imaginée cinq ans plus tôt, en 1868, pour un ouvrage collectif célébrant la mémoire de Rossini, alors tout juste disparu, sa nature religieuse n’a jamais assumé de réelle fonction liturgique. Trop théâtrale pour une Eglise avec laquelle Verdi n’entretenait guère d’affinités, la partition affirme en réalité un lyrisme qui a fait dire au chef d’orchestre Hans von Bülow, qu’elle était « un opéra en robe d’ecclésiastique ».
Et de fait, Speranza Scappucci met en valeur cette veine dramatique, dans une lecture attentive à l’expressivité des pupitres, autant qu’à la puissance des ensembles. Le Requiem aeternam introductif fait affleurer ce contraste de manière équilibrée, entre les murmures du choeur et les interventions solistes, avant le déchaînement très pictural du Dies irae, où l’effroi hurlant est soutenu par des tremolos de trompette mis en avant sans retenue, particulièrement efficace. Dès le Mors superbit, la basse Roberto Scandiuzzi déploie un métier certain, compensant la déteinte de la pâte par les ans, et que l’on retrouve dans un Confutatis sombre, mais non caricatural. Point de réserve en revanche pour le ténor Marc Laho, d’un éclat vibrant dans l’Ingemisco, attentif à la ligne comme au frémissement maîtrisé de l’affect, et qui s’intégrera avec justesse dans le trio avec choeur du Lux aeterna.
La mezzo Sabina Willeit ne manque jamais de moyens, que le Liber scriptus révèle d’emblée, mais ses qualités techniques ne peuvent faire oublier un timbre un peu trop clair pour caractériser sa tessiture face à une Serena Farnocchia corsée. Le duo du Recordare y gagnerait en relief, et la balance de l’Agnus Dei en deviendrait plus évidente. En termes de couleurs et d’harmoniques, il faut reconnaître que la soprano italienne ne saurait être prise en défaut, sans que jamais elle n’en abuse. Sa présence fait ça et là un peu d’ombre à sa partenaire, mais on ne lui en tiendra pas rigueur après un Libera me fiévreux. Et bien sûr, impossible de faire l’impasse sur le choeur, si présent dans l’oeuvre. Joignant les effectifs de la maison, préparés par Pierre Iodice, et ceux de l’IMEP de Namur, qui ont travaillé avec Benoît Giaux, la centaine de voix chorales restitue la magnifique grandeur attendue, sans se figer dans la solennité. A rebours de tout monolithisme, les lignes vivent avec une sensibilité très humaine, au diapason d’un opus qui ne l’est pas moins. Ce Requiem, Verdi l’a d’abord voulu comme le drame intime de l’homme face à la mort, plus que comme une célébration univoque du divin. En cela, la version liégeoise se montre fidèle aux intentions du maître.
Gilles Charlassier
Requiem, Verdi, Opéra de Liège, octobre 2018
© Opéra Royal de Wallonie-Liège