Opéra
Une Lucia di Lammermoor post #MeToo à Nice 

Une Lucia di Lammermoor post #MeToo à Nice 

21 February 2023 | PAR Thomas Cepitelli

L’opéra de Nice offre un écrin à cette nouvelle production de l’œuvre de Donizetti où brille comme un diamant brut l’exceptionnelle Kathryn Lewek. 

Un monde en ruines

Lucia est la victime d’un monde pensé par et pour les hommes. Son frère Enrico ne la considère que comme un bien d’échange pour assurer son pouvoir. L’homme de foi Raimondo, interprété par le formidable Philippe Kahn, quand bien même il essaie de la comprendre, lui conjure d’obéir à la loi imposée par son “devoir” de sœur. Et même l’homme qu’elle aime, Edgardo, la considère comme sienne et ne fait rien pour la comprendre. Lucia finira par se venger en tuant l’homme qu’on l’a forcé à épouser puis sombrer dans la folie. 

La scénographie pensée par Allen Moyer est on ne peut plus explicite. Le sol, comme le mur de fond de scène, est jonché de sépultures en ruines. Le monde est détruit et c’est sur ces décombres grisâtres qu’il va falloir reconstruire un ordre nouveau. Tout est sombre, les lumières de Nevio Cavinia sont crépusculaires. Même les costumes des membres de la Cour ne sont pas lumineux. La succession des tableaux se fait livre d’images comme une avancée inéluctable vers la violence, la folie et la mort.  Ce monde-là semble figurer celui des hommes qui manipulent et traitent les femmes comme des objets. Tout est à reconstruire, mais la scène rétractable semble se faire échafaud… Il reste encore une victime expiatoire à sacrifier.  

De la musique (et de l’amour) avant toute chose 

Kathryn Lewek est une Lucia bouleversante. Dans ses grands airs, tant attendus du public et entendus, tant de fois, interprétés par des artistes inoubliables, elle est d’une grande modestie. En effet, elle ne va pas chercher, même dans les notes les plus ardues à atteindre, l’admiration du public. Elle ne pose pas, mais interprète son rôle avec une grande finesse, appuyée par la direction délicate de Andriy Yurkevich.  La soprano donne à entendre toute la palette des émotions que ressent son personnage. Lucia n’est “folle” qu’au dernier acte ; avant cela elle est tour à tour une amoureuse, une femme révoltée qui ose se confronter à la loi des hommes, dépasser les droits qu’on daigne lui accorder.

La mise en scène de Stefano Vizioli est particulièrement physique. Les corps se heurtent, se caressent, les gorges sont serrées par des mains violentes, les coups de poing s’échangent. C’est une des qualités de ce travail : nous donner à voir, non pas seulement des artistes désincarnés, mais des êtres en proie au désir de l’autre, de pouvoir et possession. C’est particulièrement le cas dans le duo amoureux, mais aussi dans celui de la confrontation entre Lucia et son frère Enrico qu’interprète avant une violence contenue, mais terrifiante Vladimir Stoyanov.

Lorsque Lucia chante son amour pour Edgardo (l’excellent Oreste Cosimo), l’on songe à la scène où Emma Bovary dans le roman de Flaubert est bouleversée par l’opéra auquel elle assiste avec son mari Charles. Elle se surprend à se reconnaître dans l’héroïne de Walter Scott, dont elle est friande, et à rêver d’un amour inconditionnel, passionnel quitte à ce qu’il soit destructeur. Et il faut bien avouer que devant le talent de Kathryn Lewek on s’est surpris à penser que nous sommes un peu tous Emma Bovary…

Visuels : © D. Jaussein

 

 

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