Opéra
Une gaudriole rossinienne preste et jouissive à Monte-Carlo

Une gaudriole rossinienne preste et jouissive à Monte-Carlo

04 March 2021 | PAR Paul Fourier

Le Comte Ory de Rossini est mené tambour battant par une équipe de haut niveau, à la tête de laquelle trône une Cecilia Bartoli éblouissante, comme d’habitude…

En 1825, Rossini fraîchement arrivé à Paris compose Il viaggio a Reims, une « cantate scénique », en l’honneur du couronnement de Charles X. Le succès est immense, mais Rossini retire vite l’œuvre de l’affiche. Le matériau musical est pourtant exceptionnel… Il le reprendra trois ans plus tard pour un opéra destiné à l’Opéra de Paris, ni vraiment comique à la française, ni vraiment bouffe à l’italienne. Ce sera donc Le Comte Ory, dans lequel figurent six airs repris de l’œuvre originale.

Le nombre de solistes passant de dix rôles principaux (et huit secondaires) à trois principaux (et trois secondaires), les chanteurs profiteront donc bien de cette manne de qualité : le personnage du Comte Ory hérite de l’air de Madame Cortese, la Comtesse Adèle de celui la Comtesse de Folleville et le gouverneur de celui de Lord Sydney. Enfin, le duo savoureux du viaggio entre Corinna et Belfiore sera transposé pour la Comtesse Adèle et le Comte Ory…
Les péripéties décrites dans cet opéra, dans un livret certes redondant (deux tentatives successives de séduction), mais d’une belle efficacité, sont basées sur… l’excès de testostérone du Comte et de sa bande de soudards. Avec une vraie guerre en arrière-plan (et les maris partis défendre la patrie), le combat qui se déroule là est galant et oppose une virilité débridée à une gent féminine qui ne manque pas de ressources, et triomphe toujours.
Pour autant, ces victoires ne manquent pas d’ambiguïtés. Le marivaudage n’est pas loin. Patrice Caurier et Moshe Leiser enfoncent joyeusement le clou du comportement équivoque de ces femmes qui succombent facilement au Comte lorsqu’il est grimé en ermite, mais sont effarouchées lorsqu’il apparaît sous son vrai visage. Le jeu de masque qui en résulte est particulièrement savoureux puisque l’objet de leur crainte n’est pas tant l’homme que sa réputation sulfureuse. Ainsi, l’on craint le « redoutable » Comte Ory, mais son seul nom suscite une curiosité qui émoustille ces dames. Alors que la Comtesse et sa suite sont enfermées dans le château et qu’elles affichent un ennui palpable, en l’attente du moindre événement qui les sortira de leur torpeur, c’est le Comte et ses acolytes déguisés en pèlerines qui vont paraître.

Caurier et Leiser ont judicieusement placé l’action à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La bande du Comte prend l’identité de soldats étrangers, probablement américains, qui se baladent en jeep, fument et portent des t-shirts décorés d’une feuille de cannabis. Ainsi, les deux metteurs en scène jouent du choc des cultures entre la vieille Europe qui, après la libération, se déplace en 2 CV et hésite entre le Général de Gaulle et Brigitte Bardot, et la modernité tapageuse incarnée par les Yankees.
Nous ne sommes pas très loin de la recette savoureuse qui rend la série « Au service de la France » si jouissive. On regrettera seulement que les deux metteurs en scène n’aient parfois pas su s’arrêter à temps, passant parfois la ligne ténue entre grivoiserie et franche vulgarité.
Il y a un an, la Covid frappait et le confinement avait interrompu les répétitions. L’Opéra de Monte-Carlo, qui, rappelons-le, affiche toujours une grande pugnacité dans l’adversité, a remis, en 2021, le métier sur l’ouvrage. C’est donc, pour notre plus grand plaisir, l’équipe initialement prévue qui reprend le flambeau.

Dans le rôle-titre, le ténor Maxim Mironov, maîtrisant les redoutables difficultés du rôle, dispense une véritable leçon de chant rossinien. Ne faisant qu’une bouchée des aigus (et suraigus) nombreux, le chanteur, dans un français impeccable, agrémente ses vocalises d’un superbe legato.
Dramatiquement, alors que le comique des situations successives créées par Rossini et ses librettistes repose largement sur le travestissement et que, paradoxalement pour ce mâle libidineux, la robe est de mise, Mironov s’en donne à cœur joie.
Dans la lignée des grands Ory, les Blake et Florez, l’artiste creuse le sillon de Rossini avec la voix et le panache et l’on ne peut que regretter de ne pas le voir plus fréquemment sur les scènes françaises dans ce répertoire, il faut le dire encore trop souvent méprisé.

Initialement, la mise en scène a été créée pour la star de la soirée, Cecilia Bartoli, très habituée à travailler avec Caurier et Leiser. Assister à une représentation de la Dame, c’est immanquablement être happé par la magie de cette bête de scène, interprète, qui plus est, taillée sur mesure pour le génial Rossini avec lequel elle a su créer une véritable alchimie.
Bartoli est une perfectionniste. Chaque mot de français, chaque voyelle même, s’accorde avec autant d’incarnations de son visage si expressif.
La vraie nature de sa Comtesse Adèle, véritable Janus féminin, se cache sous un masque de vieille fille presque revêche sous laquelle la femme libérée n’est jamais loin. Elle personnalise là ces femmes des années 50, encore soumises, qui engendreront les filles de 68.
Vocalement, c’est un feu d’artifice ! Après toutes ces années au service du « cygne de Pesaro », son art de la vocalise est non seulement intact, mais toujours aussi étourdissant, sans jamais sacrifier ni le mot, ni l’effet. Enfin, comme toujours, l’expression de la Bartoli – jouant sans limites dans tous les registres autorisés par cette gaudriole de haut niveau – ne se borne pas à sa virtuosité.
Lorsqu’en 1828, Rossini prenait de gros risques avec son premier opéra en français sur la scène de la grande boutique parisienne, la création de l’œuvre ne fut pas laissée au hasard, puisque la fine fleur lyrique y participa. Ainsi, Laure Cinti-Damoreau et Adolphe Nourrit en étaient-ils les deux principaux protagonistes.
S’il ne reste évidemment pas trace de cette création, il ne sera pas faire injure à leurs illustres prédécesseurs de dire que Bartoli et Mironov relèvent, en 2021, le gant de manière magistrale.

Rebeca Olvera, sans atteindre l’excellence vocale de ses collègues, donne à Isolier la fraîcheur du petit jeune intrépide qui joue de ruse pour s’attirer les grâces de la Comtesse Adèle aux dépens du Comte Ory. En treillis militaire, elle campe le pendant parfait (et travesti) de la Bartoli dont elle est une partenaire habituelle.
Nahuel di Pierro incarne un gouverneur de grand luxe. Si la voix manque un peu d’agilité pour l’écriture rossinienne, le timbre profond est d’une beauté confondante et d’une autorité qui sied à ce pauvre chaperon contraint de suivre – et parfois, d’épouser – les frasques de son maître.
Le baryton Pietro Spagnoli campe le roué Raimbaud avec talent, notamment au second acte pour son air « alcoolisé ».
Enfin, en Dame Ragonde, Liliana Nikiteanu a une voix aussi revêche que son personnage dont le côté caricatural sauve cependant la mise.

Rossini a écrit là une œuvre virtuose pour conquérir Paris. Mais, pour l’être complètement, encore faut-il que le délire voulu par l’auteur émane aussi de la fosse d’orchestre. Malheureusement, Jean-Christophe Spinosi entame l’introduction, déjà musicalement moins enlevée que le reste, avec une lourdeur dont il aura du mal à se départir ensuite. Le Chef fait alterner des moments d’accélération avec d’autres passages, où son pied semble écraser subitement la pédale de frein. Certes, la voiture de la Comtesse est une 2 CV, mais point n’était besoin de caler le rythme musical sur les caprices du moteur de ce véhicule emblématique.

La fête fut donc presque parfaite ; dans cette oasis monégasque, il suffisait de voir la joie dans les regards et les sourires des spectateurs pour s’en assurer.

© Alain Hanel – OMC

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Paul Fourier

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