Opéra
Une Aïda all stars statique à Naples

Une Aïda all stars statique à Naples

31 July 2020 | PAR Paul Fourier

L’Opéra de Naples réussit le tour de force, cet été, de monter deux opéras en version concert sur la Piazza del Plebiscito. Tosca et Aïda réunissent la fine fleur du chant mondial. Retour sur la première des deux représentations de l’opéra de Verdi.

Avec Tosca, cette Aïda et la 9e de Beethoven, le Teatro San Carlo célébrait, à la fois, le retour du spectacle vivant et un hommage aux personnels hospitaliers qui furent tellement sollicités dans la période récente.
Ainsi Stéphane Lissner, le nouveau maître des lieux, a profité de la libération par forfaits des engagements qu’ils et elles avaient cet été, pour afficher un plateau de stars. Jonas Kaufman et Anita Rachvelishvili devaient être à Peralada, Anna Pirozzi à Athènes et Anna Netrebko (pour Tosca) à Salzbourg. Ainsi, une conjonction des planètes autorisa la production en un temps record de représentations (en versions concert) où l’on put, y compris, croiser des spectateurs étrangers – dont de nombreux Français – qui avaient eu la possibilité et le courage de traverser les frontières.

Le dispositif technique retenu pour Aïda différait sensiblement de celui de Tosca. Alors que les interprètes de l’opéra de Puccini étaient pourvus de micros individuels portatifs, ceux de ce soir étaient alignés derrière des pupitres et des micros bien visibles. Le ressenti en fut bien différent. Si l’on avait pu se plaindre de discordances, deux jours auparavant, on pouvait néanmoins apprécier le dynamisme d’un opéra finalement très « joué » malgré les circonstances. En revanche, cet Aïda a davantage souffert du statisme et l’on fut confronté, dans les ensembles, à des difficultés pour différencier les singularités, voix, chœur, orchestre, se fondant, par moments, dans un magma musical.
Tosca a eu son ambulance, ses chiens et ses enfants. Les enfants étaient dans une forme renouvelée pour cette Aïda et ce soir, dignement accompagnés par un avion, un hélicoptère. Naples, Naples, Naples…

L’affiche était belle. La soirée ne fut pas étourdissante.

Si le plateau réunissait ce qui se fait de mieux en la matière, on n’atteint pas le paroxysme des grands soirs. Au pupitre, Michele Mariotti conduit honorablement, mais peine à faire ressortir toutes les nuances – toujours bienvenues pour une partition qui peut parfois être indigeste. La direction, précise, est malheureusement souvent routinière, notamment dans les pages intimistes. Ce qui n’empêcha pas le chef, l’orchestre et le chœur (exemplaire sous la direction de Gea Garatti Ansini) de briller dans une marche triomphale aussi spectaculaire que son exécution l’exigeait devant le magnifique décor de fond qu’est le Palazzo Reale.

Anna Pirozzi semble – une fois n’est pas coutume – sur la réserve. Le premier air est, certes, parfaitement interprété, mais c’est comme si elle avait du mal à s’extirper de sa partition. Il en sera de même pour l’air du Nil qui est très bien chanté, compte tenu de sa difficulté, mais manque aussi d’abandon. On la sent soucieuse de technique, mais ne larguant pas tout à fait les amarres pour affirmer ses piani ou tenir ses aigus. Si l’intelligence du mot est toujours présente, elle peine à nous envoûter. On la retrouve, en revanche, complètement souveraine dans les scènes d’emportements, notamment face à son père dans l’acte III, forte de ses sauts de registre qui font d’elle aujourd’hui la meilleure des Abigaille. Alors détaché de la partition, le corps se libère, l’émotion perce et nous touche au cœur. Indéniablement, ce soir, l’Aïda battante paraît mieux lui convenir que l’Aïda amoureuse.

Jonas Kaufmann, lui aussi curieusement à distance, est en forme, vaillant, mais ne parait pas très investi dans l’aventure. Il nous gratifie d’un Celeste Aïda racé mais qui n’atteint pas certaines de ses interprétations anthologiques. Par moments lointain, presque froid et fermé, il semble se borner à accompagner sagement ses collègues. Il faudra attendre la scène du Nil pour qu’il retrouve ses beaux accents dans cette partie où Radamès apparaît dans toute son humanité, voire sa faiblesse. Bref, on connut le ténor plus conquérant et audacieux que ce soir.

En Amneris, Anita Rachvelishvili est stupéfiante. Vêtue d’une longue robe blanche, les cheveux tirés en arrière, guerrière, violente, mordante, voire débraillée juste ce qu’il faut, elle mène souvent le bal et insuffle l’électricité qui manque parfois trop manifestement sur la grande scène. Si elle s’appuie sur ses graves totalement impressionnants, tout le registre est sollicité jusqu’à des aigus tranchants et lancés à la volée. La scène où elle affronte les prêtres qui condamnent Radamès est hallucinante de maîtrise et de puissance.

Si le roi d’Égypte de Fabrizio Beggi chante forte et sans subtilités, Roberto Tagliavini est tout en noblesse dans Ramfis. Quant à Claudio Sgura, c’est un Amonasro de grande classe d’autant que sa grande scène requiert une autorité et une capacité à s’imposer qu’il possède indéniablement. On ne manquera pas également de saluer la très belle prestation de la prêtresse de Selene Zanetti.

Bien sûr, d’aucuns diront que c’est déjà un immense privilège d’assister à cela et on ne boude évidemment pas son plaisir, mais il est certain que les promesses étaient probablement trop belles pour que l’on puisse en dire que l’on en est ressorti en extase. Et, pour le contexte et pour toutes les raisons précédemment citées, la soirée n’en restera pas moins, dans les mémoires.

© Paul Fourier

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Paul Fourier

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