Tosca : bon baiser de St-Etienne
Si l’Opéra-théâtre de St-Etienne n’hésite pas à prendre des risques avec des oeuvres rarement jouées (on se souvient par exemple de leur Marchand de Venise), il sait aussi programmer de grands classiques dont le public ne se lasse pas. C’est actuellement le cas avec Tosca, le célèbre chef-d’oeuvre de Puccini, dans la mise en scène de Louis Désiré créée à Marseille en mars dernier.
Il va sans dire que dans pareil opéra, l’attente portée sur le rôle-titre est importante. Ici, c’est à Vanessa le Charlès qu’incombe la lourde de tâche de répondre à cette attente dans ce qui est pour elle une prise de rôle. La voix est très belle mais il était probablement un peu tôt pour s’atteler à cette partition : certaines notes sont beaucoup trop puissantes et le tout manque d’une modulation et d’une modération permettant le relief vocal attendu. On entend pourtant la douceur que peut donner Vanessa le Charlès à sa voix dans l’air fameux “Vissi d’arte”. Ce léger souci est toutefois contrebalancé par un jeu et une interprétation théâtrale des plus saisissants et d’une justesse bluffante. Ce “baiser de Tosca” est magnifiquement poignant mais il n’est qu’un exemple du talent scénique indiscutable de la cantatrice.
Mario Cavadarossi est quant à lui interprété par un jeune artiste, Thomas Bettinger. Là aussi, le timbre est superbe, mais la projection est étrange : plutôt que de se déployer pour occuper l’espace, elle semble “étroite”, “resserrée”, ciblée. Reconnaissons que nous l’entendons malgré tout lors des duo avec sa partenaire soprano, montrant que la voix est bien là. Parallèlement à Tosca, le peintre est interprété et joué avec une justesse impressionnante. Aucune exagération scénique comme on en voit régulièrement sur les scènes d’opéra.
La baron Scarpia est ici machiavéliquement incarné par Peter Sidhom tandis qu’Antoine Garcin prête sa voix au pauvre Angelotti et Christian Tréguier au sacristain, montrant chacun de belles voix graves puissantes qui se font entendre sans mal et parfaitement maîtrisées.
Côté mise en scène, Louis Désiré parvient à rendre Tosca terriblement réaliste et dans ce qu’elle a de plus vrai : nul faste et frou-frou excessif, nous revenons au texte et à l’oeuvre. Il ne s’agit pas d’une diva capricieuse mais d’une femme pieuse qui aime profondément et passionnément un artiste qui travaille auprès d’un sacristain et dont l’oeuvre représente la Madone. La tragédie plane sur la pièce dès le tout début avec l’apparition d’Angelotti, échappé de prison et de la main du tyran Scarpia. Il n’y a finalement que peu de lumière dans cette histoire, ce que rend parfaitement le travail de Louis Désiré dans cette mise en scène très sombre, plongeant le plateau dans quelques ténèbres, comme si l’ombre de la mort planait au sens stricte sur la scène et sur les personnages. Un décors unique sur un plateau tournant permet d’incarner tous les endroits du livret et le public est alors ramené à l’essentiel sans avoir à se perdre dans des détails qui n’ont pas d’importance dans cette tragédie.
Saluons aussi le fabuleux travail de lumière de Patrick Méeüs qui donne toute la dimension aux réflexions de la mise en scène, offrant des tableaux de toute beauté, maniant le clair-obscure avec grande dextérité. On pense, par exemple, à cette éclairage de bougies, à cette immense croix lumineuse de l’acte III projetée sur le décors tournant, offrant finalement toute sa lumière à la façade, ou bien aux lumières lors de l’exécution de Cavadarossi, ou encore -et surtout!- au superbe final avec le suivi lumière de Tosca devant le rideau rouge.
Enfin, comment ne pas souligner la direction de David Reiland, si exceptionnelle qu’une pluie de roses montent de la fosse et des musiciens lors de son salut final? Rarement, si ce n’est jamais, l’OSSEL (Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire) n’a été aussi excellent. Les intentions de jeu sont parfaites, de même l’accord avec la scène et les voix, avec ce qu’il faut d’interprétation. Nous redécouvrons la partition que l’on croyait connaître tant on l’a entendue. Un nom à retenir et à suivre!
©Cyrille Cauvet