Retour flamboyant pour La Vestale au Théâtre des Champs-Élysées
Ce 22 juin 2022, le festival du Palazetto Bru-Zane faisait escale avenue Montaigne et, dans ce cadre (avec un enregistrement à la clé), le public a pu, de nouveau, apprécier l’œuvre de Spontini. La distribution était de très haute tenue.
Une période musicale de transition
La première interrogation qui, aujourd’hui, peut saisir un auditeur de La Vestale (1807) est de parvenir à la situer dans le temps lyrique. Mozart et Gluck ont, parmi d’autres, illuminé le XVIIIe siècle. Le XIXe siècle nous passionne avec les belcantistes, Verdi ou Wagner. Mais finalement, pour le tout début de siècle et la période napoléonienne, dans un moment charnière entre Gluck et le romantisme à venir, on peine à citer des œuvres frappantes et le nombre de compositeurs encore « connus » est faible, Spontini voisinant avec Cherubini et Mehul.
Néanmoins le succès que rencontra cette vestale montre que si cet opéra s’inscrit dans une phase très politique d’un « classicisme lyrique de l’Empire », il correspondait alors, aussi, indéniablement aux goûts du public tout en marquant, d’une certaine façon, une étape dans une révolution musicale qui s‘affirmera ensuite avec le Grand opéra français. Par la suite, ce succès s’installera sur la durée jusqu’à la moitié du XIXe siècle (en 1830, la 200e représentation verra Cornélie Falcon incarner Julia) puis connaitra des résurgences grâce a des chanteuses prestigieuses (Ponselle, Callas, Crespin, Gencer, Scotto, Caballé…) qui voulurent s’emparer du rôle-titre.
La structure de La Vestale est assez déconcertante, car l’opéra affiche à côté de solos et duos enflammés de nombreux récitatifs et des passages choraux qui lui donnent parfois une allure d’oratorio. Le premier acte parait plus faible que les deux suivants et le « happy end » de la fin (pour lequel on sait que Spontini a eu des hésitations) est très surprenant lorsque l’on compare avec la Médée de Cherubini et la Norma de Bellini.
L’histoire est assez simple. Un soldat romain a une idylle avec une jeune prêtresse, elle-même contrainte par la pureté de sa charge. Le poids de l’institution religieuse (personnifiée par le souverain pontife et la grande vestale) va la condamner à mort pour ce sacrilège avant un brusque retournement de situation et ce fameux happy end lié à une intervention divine.
Malgré le fait que l’œuvre soit assez courte, cinq des six personnages présents ont des pages très consistantes. Et, ce soir, nous avons incontestablement affaire à une très belle distribution
Les quelques interventions de David Witczak (le chef des Aruspices) sont de belle tenue et ne laissent pas indifférent. Dans le rôle du grand pontife, Nicolas Courjal est d’une efficacité redoutable pour ce personnage brutal. Néanmoins, il devient perceptible que la voix de la basse commence à souffrir de la lourdeur des rôles qu’il aborde et la stabilité du chant en pâtit parfois.
Aude Extremo est remarquable dans le rôle de la grande vestale. Dès le début, elle est exemplaire lorsqu’elle tance Julia, cette prêtresse à l’esprit désordonné. Dans « L’amour est un monstre barbare, perfide ennemi de Vesta », rappelant à la jeune fille les fondamentaux de sa charge, elle impressionne par sa puissance et par les vocalises effroyables qui traduisent les tombeaux et les abimes qu’elle décrit.
Thassis Christoyannis trouve en Cinna un rôle à sa mesure. Non seulement la diction est d’une clarté exemplaire et, dès « Dans le sein d’un ami fidèle (…) d’un ami dans l’infortune, je veux partager la douleur », il fait montre d’une souplesse, d’une douceur même par moments. Il possède une lumière dans la voix qui lui permet d’interpréter cet ami dont Licinius a besoin et son air « Ce n’est plus le temps d’écouter les vains conseils de la prudence » est magnifique.
Stanislas de Barbeyrac maitrise tout autant cette clarté et cet art du chant français. Son élégance s’exprime dans l’air « Les dieux prendront pitié du sort qui nous accable…». En revanche, il lui manque parfois un peu de contrastes dans la voix pour complètement traduire la véhémence de cet amoureux prêt à tout pour sauver son aimée.
L’enjeu était d’importance pour Marina Rebeka dans un rôle qui, comme on l’a dit, a vu défiler d’extraordinaires interprètes. Physiquement, même en version concert, elle s’attache à incarner la personnalité tourmentée de cette prêtresse et, si on la sent au début assez prudente et très attentive à sa partition, l’attitude se comprend pour cette jeune fille désorientée qui subit la pression de son aînée. Ainsi l’air « Ô d’un pouvoir funeste invincible ascendant ! » est baigné d’une douceur et d’une féminité exacerbée.
Le passage clé pour la chanteuse est l’air « Toi que j’implore avec effroi, redoutable déesse… » suivi d’un récitatif explosif et d’une deuxième partie d’air avec des vocalises redoutables accompagnés avec vivacité par l’orchestre (« Suspendez la vengeance, impitoyables dieux ! »), vocalises qui sont l’expression du délire qui saisit l’héroïne. Ce passage est admirablement maitrisé par Marina Rebeka mais l’extrême contrôle dont elle a fait preuve l’amène, à la fin de l’air, à exprimer son soulagement d’être arrivée aussi brillamment à bon port. Après ce moment de bravoure, le rôle devient moins héroïque et pour l’air, « Ô des infortunés déesse tutélaire ! Latone, écoute ma prière… » elle parvient à très bien alléger sa voix. Enfin, le troisième air est « Toi que je laisse sur la terre, mortel que je n’ose nommer, tout mon crime fut de t’aimer, et la mort ne peut m’y soustraire » est empreint d’une belle et triste résignation.
Hormis quelques sons un peu rudes à l’oreille (et quelques ratés dans les cuivres), les talens lyriques sont parfaitement à l’aise dans ce répertoire et Christophe Rousset sait trouver les équilibres propres à cette musique, insufflant à la fois une gravité dans l’ouverture et une célérité totalement adaptée dans les moments déclamatoires. Le passage où le peuple se déchaine (« Les dieux demandent vengeance… ») est absolument admirable.
Le Vlaams Radiokoor, très sollicité, est exemplaire de clarté et de vivacité. Il brille à chacune de ses interventions dont l’une des meilleures illustrations est la fin de l’acte II (« De son front que la honte accable détachons ces bandeaux, ces voiles imposteurs, et livrons sa tête coupable aux mains sanglantes des licteurs. »).
La Vestale est, en partie, une redécouverte (absente depuis des lustres de l’Opéra de Paris, elle a été néanmoins donnée au Théâtre des Champs-Élysées en 2013, avec Ermonela Jaho, Jean-François Borras et Béatrice Uria-Monzon). Pour cette œuvre dont la valeur est autant artistique qu’historique, il fallait une équipe de choc ! Ce fut le cas ce 22 juin et, désormais, tout le monde attend le témoignage discographique de cette si belle soirée.
Visuels : Photo : © Gil Lefauconnier / Vidéo : Marina Rebeka au Tchaikovsky Concert Hall, Moscow (2018)