Opéra
Platée: une transposition judicieuse du monde antique à notre société contemporaine

Platée: une transposition judicieuse du monde antique à notre société contemporaine

22 March 2014 | PAR La Rédaction

Hier soir, l’Opéra Comique donnait la première représentation de Platée, comédie lyrique de Rameau. Ce sont des musiciens brillants, sous la baguette subtile de Paul Agnew, qui revisitent l’œuvre dans le contexte de la mode et de la haute couture. La nymphe des fleuves métamorphosée en fashion victim par Robert Carsen.

La comédie de Rameau s’ouvre sur un prologue, héritier de la forme lulliste : Thespis, Momus et Thalie décident de créer une œuvre nouvelle destinée à railler les vices des hommes et des dieux. Mais Amour intervient, vexée de ne pas faire partie des ingrédients nécessaires à l’intérêt du nouveau spectacle. Succède à ce prologue piquant le premier acte de Platée : Mercure, serviteur émérite de Jupiter, ne sait comment apaiser son maître de la jalousie paralysante de sa femme Junon. Cithéron a un plan : Jupiter peut faire semblant de tomber amoureux de Platée. Cette nymphe laide et ridicule, nymphomane à souhait, est persuadée que tous les hommes succombent à ses appas. Voyant l’outrageant objet des désirs de son mari, Junon ne pourra que rire de sa jalousie absurde. Mercure, convaincu, décide de mettre le stratagème en place. Il se fait l’intermédiaire de Jupiter et déclare à la pauvre Platée que le plus puissant des dieux souhaite l’épouser. Platée, victime de sa vanité, consent à épouser Jupiter, folle de joie. Au second acte, Jupiter se dévoile à Platée. La Folie est conviée à ce premier entretien et le chœur chante ironiquement les appas de la nymphe. Au troisième acte, Platée attend impatiemment son mariage. Au moment ultime de la consommation, apparaît Junon, folle de rage, cherchant l’objet de ses maux : en découvrant sa rivale absurde, elle rit d’elle-même et se repent de sa jalousie. Jupiter et Junon se réconcilient dans la joie, tandis que Platée reste seule, raillée de tous.

Platée a été créée à la cour de Versailles le 31 mars 1745, à l’occasion du mariage du Dauphin, fils de Louis XV, et de l’Infante d’Espagne. L’opéra sera repris quatre ans plus tard, en 1749 à l’Académie royale de musique, en 1750 puis en 1754, en plein milieu de la « Querelle des Bouffons », qui opposent les partisans de la musique française dont Rameau est le représentant, et ceux qui prônent la musique italienne, rangés derrière Rousseau. Platée est la première comédie lyrique de Rameau, qui lui vaut les éloges de L’Encyclopédie : « C’est là que parut pour la première fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble et la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de grandes images et de tableaux ridicules, ouvrage produit par la gaieté. » La gaieté, oui, mais à quel prix ?

Indubitablement, nous nous situons avec Platée dans le genre comique : les personnages célébrant le vin (Thespis, Momus, Thalie), l’histoire, la musique elle-même, tout fait signe a priori vers la comédie. Pourtant, malgré les injonctions du chœur final, le public peine à s’ « égayer » d’une si affreuse issue : se serait-il identifié un temps soit peu à Platée ? Victime de sa vanité, la nymphe est punie. Le châtiment, pourtant, paraît disproportionné, et le complot de tous pour railler et trahir la pauvre nymphe ne saurait réjouir que des cœurs de pierre. Il apparaît que si l’œuvre nouvelle composée par les acteurs du prologue serve à fustiger les vices des hommes et des dieux, seule Platée est punie. Le dieu Jupiter n’abuse-t-il pas lui-même d’une vanité extravagante ? N’est-il pas l’envers spéculaire et mystérieux de Platée, aimant trop de femmes, et si sûr de ses charmes ? Mais lui, pourtant, n’est point puni. Son plan réussit à merveille et il peut poursuivre ses aventures sans attiser désormais les soupçons de Junon, trop justement jalouse. Quoi qu’il en soit, la musique fait dévier de justesse la tragédie imminente, elle tient à distance l’empathie propice à l’égard de la nymphe par ses tons majeurs et festifs, elle livre une fin ambiguë et le spectateur apprécie tant la réussite de cet énorme complot que la dérision d’une Platée bien punie.

Robert Carsen s’est demandé comment mettre en scène Platée aujourd’hui, comment lui donner du sens, de la vie et de l’énergie à notre époque. Refusant de sortir l’œuvre des vieux placards poussiéreux pour en faire un objet muséal étrange, il transpose l’œuvre dans notre univers contemporain. Le prologue, si intelligemment pensé, est l’occasion d’une fête entre jeunes gens déguisés en grecs, entourés de draps blancs que cachent difficilement les sous-vêtements flashy des danseurs. Cette fête rejaillit sur le public, qui sent toute l’énergie de groupe et le plaisir des artistes, dans un spectacle effectivement dionysiaque. Qui peuvent incarner les dieux aujourd’hui ? Comment penser cette différence ontologique ? Les dieux, pour Robert Carsen, sont ceux qui appartiennent à la haute sphère de la haute couture, hommes riches et opulents, stars effrontées qui subissent mollement les flashs des photographes paparazzis. Vanité, apparence, apparats, autant de caractéristiques brillantes et superficielles qui font rêver la nymphe Platée, croyant approcher de ses plus grands désirs. La Folie est une chanteuse élégante, elle aussi fashion victim, changeante et virtuose.

Quoi qu’il en soit Platée est un personnage comique éminent : la performance du ténor Marcel Beekman est absolument remarquable, elle souligne l’impertinence de la vanité de Platée dans un contexte où le paraître triomphe, à la seule faveur d’une désillusion qui sert de punition.

Par Anna Camus

Visuels: © Monika Rittershaus

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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