Opéra
Pierre-Emmanuel Rousseau : Je me définis fondamentalement comme un metteur en scène d’opéra

Pierre-Emmanuel Rousseau : Je me définis fondamentalement comme un metteur en scène d’opéra

21 September 2019 | PAR Paul Fourier

Lorsque l’on pose la question à Pierre-Emmanuel Rousseau, il se définit lui-même metteur en scène d’opéra. Il faut dire que commencer sa carrière aux côtés de gens comme Jean-Claude Auvray, John Dew, Stéphane Braunschweig, Jérôme Deschamps et Macha Makeieff donne déjà quelques sérieux atouts. Ayant notamment travaillé, côté chefs, avec John Eliott Gardiner, William Christie, François-Xavier Roth, Jérémie Rhorer, Christophe Rousset ou Leonardo Garcia Alarcon, il a croisé au fil de sa carrière Karita Mattila, Sumi Jo, Véronique Gens, Frédéric Antoun, Olga Peretyatko, Patricia Petitbon...

Puisqu’il reprend sa mise en scène du Barbier de Séville à l’Opéra de Rouen, nous avons profité de la période de répétition pour lui poser quelques questions. Il nous parle de sa carrière, de son métier, de ses projets et de son travail avec les chanteurs et les chefs d’orchestre.

Bonjour Pierre- Emmanuel,
Merci de nous accorder cet entretien alors que tu es en plein travail sur ta production du barbier de Séville à l’opéra de Rouen. Sauf erreur, cette production a été créée à l’Opéra National du Rhin puis reprise à Saint-Étienne.
Peut-on, pour commencer, avoir un petit aperçu de ta carrière et de ton travail passé ?

J’ai débuté, en 2010, par la mise en scène de L’Amant jaloux de Gretry à l’Opéra Royal de Versailles puis à l’Opéra-Comique. (on peut trouver ce spectacle en DVD, NDLR).
J’ai ensuite réalisé les mises en scène, les décors et les costumes de Il Turco in Italia de Rossini, Viva la Mamma de Donizetti, Le Comte Ory de Rossini, Don Pasquale de Donizetti pour l’Opéra de Bienne. Puis à Genève, il y a eu Pomme d’Api et Monsieur Choufleuri d’Offenbach et une mise en espace pour le Schauspieldirektor de Mozart avec le chef Leonardo Garcia Alarcon. J’ai ensuite mis en scène Le Pays du Sourire de Léhar au Grand Théâtre de Tours, et Don Pasquale au festival de San Sebastian, ainsi qu’à l’Opéra de Metz, et L’Italienne à Alger au Blackwater Valley Opera Festival.
Lors de la dernière saison (2018-2019), j’ai réalisé deux nouvelles productions (décors, costumes et mise en scène) à savoir pour Le Barbier de Séville à l’Opéra National du Rhin (repris à l’Opéra de Saint-Étienne) et Les Fées du Rhin d’Offenbach, au Grand Théâtre de Tours et au Theater-Orchester Biel-Solothurn, et j’ai repris Le Comte Ory à Rennes et à Rouen.

Tu travailles principalement avec des théâtres français en régions. J’imagine que, compte tenu de leurs contraintes (notamment financières), les programmations sont plutôt composées d’œuvres connues.

Effectivement ! Le problème c’est que souvent, les maisons plus modestes n’osent pas aller vers des répertoires moins connus, car le public risquerait de ne pas suivre. Cependant, certaines maisons prennent des risques. À cet égard, par exemple, le travail de Benjamin Pionnier à Tours ou de Dieter Kaegi à Bienne est assez exemplaire. Ces deux directeurs n’ont pas hésité à me faire confiance et à produire Les Fées du Rhin. Dieter Kaegi programme aussi bien Butterfly qu’un diptyque Eotvös- Sciarrino.
À mon goût, il y a un véritable déficit d’œuvres de la fin du 19e (hormis Puccini, bien sûr) et du 20e siècle tout comme de ce que j’appellerais le vrai vérisme (Mascagni, Alfano, etc…). Ensuite, il y a le fait que même si j’ai déjà réalisé une mise en scène pour un opéra, chaque directeur veut sa propre production. Il est bien évident que je n’ai pas une imagination à ce point débordante pour faire trois Don Pasquale différents pour trois théâtres différents (rires).
Parfois, il y a de beaux cadeaux comme, par exemple, lorsque Eva Kleinitz (directrice de l’Opéra National du Rhin, décédée en mai dernier NDLR) et Benjamin Pionnier m’ont confié la production de Hansel et Gretel, pour décembre 2020. C’est un conte cruel qui traite de manière détournée de pédophilie avec une sorcière jouée par un ténor, une musique complètement folle et un orchestre quasi wagnérien. Il y a vraiment de quoi s’amuser pour un metteur en scène ! (rires)
De manière générale, une commande pour un nouvel opéra est toujours, pour moi, quelque chose de passionnant.

Quand on a comme toi une image de metteur en scène d’opéras plutôt bouffe et que l’on travaille pour ces théâtres, ne se retrouve-t-on finalement pas enfermé dans un seul style de répertoire ?

Je dirais plutôt “catalogué”. Cela est à double tranchant, car si je reçois de nombreuses propositions pour ce répertoire, c’est une reconnaissance de mon travail. En même temps, il est vrai que je cherche à explorer de nouveaux horizons. Matthieu Rietzler, à Rennes, m’a proposé La Clemence de Titus. C’est une opportunité magnifique pour me confronter à l’opera seria.

Alors précisément, comment Pierre-Emmanuel Rousseau traite-t-il l’opéra bouffe ?

Ma particularité est que je signe les décors, les costumes et la mise en scène de mes productions. J’ai une approche holistique de mon métier. Pour moi la forme a autant d’importance que le fond et plus spécifiquement pour ce répertoire dit “léger”. Je crois qu’il ne faut pas tomber dans le simplisme, et ne pas se laisser entraîner dans une mécanique un peu vaine ! Ce qui est intéressant, même pour ces opéras qui ont d’abord un ressort comique, c’est qu’il faut laisser leur chance aux personnages, aller chercher la profondeur psychologique qui est en eux pour leur donner de la grandeur. Par exemple, si l’on regarde Don Pasquale, c’est un personnage fondamentalement émouvant. Ce qui et formidable dans ce répertoire, c’est que le travail de direction d’acteur est primordial, et que je peux travailler avec une approche complètement théâtrale.
Pour le Barbier, je suis tout simplement reparti de Beaumarchais. Rossini, et son librettiste Sterbini, ont mis de côté la dimension sociale et la critique acerbe de cette société pré-révolutionnaire. Il était important pour moi de redonner à voir cet aspect presque politique.

Il y a cet éternel débat sur la mise en scène, sur le respect archi scrupuleux de l’œuvre ou sur les possibilités qu’ont les metteurs en scène de transposer, rajouter, etc. Parfois, je vais à l’opéra, je ne comprends pas forcément tout ce que le metteur en scène me montre, mais néanmoins je ne lui ne tiens pas forcément rigueur si l’ensemble me séduit. Quel est ton avis là-dessus ?

Je revendique de ne pas avoir à justifier tout ce qui compose mes mises en scène ! Je suis dans le faire, pas dans l’analyse. Je fais les choses d’instinct et parfois je vais avoir une idée que je ne saurais pas moi-même justifier. Il peut aussi y avoir des références que personne ne comprendra sauf moi. Par exemple, lorsque j’ai fait Les Fées de Rhin d’Offenbach, il y a dans cette œuvre une scène de viol et une d’épuration ethnique. J’ai situé cela pendant la guerre des Balkans et je suis parti d’une part d’un texte de Victor Hugo et d’autre part, de la photographie du photographe de guerre Denis Sinyakov, prise en Tchétchénie et que j’ai littéralement reconstituée sur scène.

Tu es fondamentalement un metteur en scène d’opéra. Crois-tu que ça soit très différent du théâtre (non musical) ?

Je me définis fondamentalement comme un metteur en scène d’opéra. L’opéra est un art de l’artificiel. Au théâtre, on est dans un principe de réalité. Une autre différence, c’est la temporalité; la contrainte majeure étant le timing musical. De cette contrainte naît la mise en scène. En tant que metteur en scène, je suis comme un intermédiaire entre l’oeuvre et les spectateurs, mon rôle est de donner corps à la partition. Je ne peux être qu’extrêmement humble face à l’œuvre ; je ne suis qu’un interprète et non un créateur. De toute façon, la clé de tout, c’est qu’il faut bosser, je dirais même pétrir quelque chose petit à petit. Je n’arrive jamais avec ma mise en scène écrite. Tous les chanteurs n’ont pas la même psychologie ou la même morphologie, donc il faut s’adapter à eux. En plus, il est très difficile pour un interprète de faire un spectacle auquel il ne croit pas. Il m’arrive bien sûr, souvent, de faire fausse route, et de reprendre beaucoup.

Le résultat d’une production c’est celui d’un travail d’équipe, non ?

Oui absolument, et il est important de respecter tout le monde. Je mets un point d’honneur à apprendre tous les prénoms et j’organise toujours une fête pour chaque production où j’invite toute l’équipe.J’ai été élevé « à la dure » à une époque où c’était le règne du metteur en scène et je ne veux pas reproduire ça.

Comment s’articulent ton travail, tes propositions, tes choix avec ceux du chef ?

Sur une production, il y a, je dirais, une direction bicéphale. Il est donc important de bien travailler avec le chef et je demande toujours de le rencontrer au tout début pour regarder ensemble en amont si ça va fonctionner humainement parlant. Nous avons notamment parfois à gérer de conserve les relations (voire les éventuels conflits) avec les chanteurs. Il arrive malheureusement aussi que ça ne soit pas si simple.

Comment cela s’inscrit-il dans la durée d’une production ?

Prenons comme exemple Le Barbier de Séville. Eva Kleinitz m’a passé commande pour l’Opéra du Rhin en novembre 2016 pour une Première en septembre 2018. La maquette était prête en mai 2017. Je suis allé voir diriger Michele Gamba, à Stuttgart, en janvier 2018. Nous avons longuement parlé, discuté des choix dramaturgiques, et décidé ensemble des coupures. Tout au long des répétitions, nous avons dirigé d’une seule voix. Ainsi, quand, après cinq semaines de répétition, j’ai passé la main au chef d’orchestre, le travail s’est poursuivi dans la même direction, avec harmonie.

Et comme finalement, le premier métier des chanteurs est de chanter, ne sont-ils fondamentalement pas plus tentés de suivre les indications ou la direction du chef que les tiennes ?

Tout mon travail est d’amener les chanteurs à regarder le chef le moins possible, afin qu’ils soient libres dans leurs mouvements. Pour cela, j’essaye de leur rendre les déplacements les plus naturels et musicaux possibles. Mais oui il arrive que des chanteurs restent les yeux rivés sur le moniteur. Ça peut être le cas de quelqu’un qui ne veut pas suivre la mise en scène ou ça peut aussi dénoter un manque de confiance du chanteur ou du chef.
Il peut y avoir aussi la peur pendant la représentation. Ça fait partie du boulot. On a parfois des chanteurs, formidables acteurs en répétitions et ensuite tout cela « se rétrécit » à cause du trac.

Autre acteur important d’une production, c’est le chœur. Est-ce que le travail est différent de celui réalisé avec les solistes ?

On a affaire là à un groupe qui travaille sous la direction du chef de chœur. J’essaye toujours de mon côté de leur donner chacun un rôle bien précis.

As-tu vécu des expériences difficiles avec des chanteurs ? Tu n‘es pas obligé de donner de noms (rires) !

Oui je me souviens d’une chanteuse au Châtelet (qui est aujourd’hui une star) lorsque j’étais assistant de Stéphane Braunschweig. Ça n’est vraiment pas un bon souvenir ! J’essaye toujours d’être le plus conciliant avec les chanteurs. Certaines fois, les chanteurs sont rétifs à toute proposition, et alors la situation devient critique. Dans ce cas, il faut user de beaucoup de psychologie pour tenter de les amener dans mon univers. Il est vrai que je demande beaucoup aux chanteurs, ils doivent travailler et répéter longuement, mais, en général, ils sont assez contents du travail que nous effectuons ensemble.

La configuration de la salle est-elle une contrainte particulière pour le metteur en scène ?

C’est parfois le cas. Par exemple, si une salle à l’italienne est souvent agréable pour les chanteurs, ça peut-être plus pénible pour nous, notamment pour les décors.

Pour finir, on peut en savoir plus sur tes projets immédiats ?

Oui, bien sûr. Il va y avoir des reprises. Évidemment celle du Barbier de Séville à l’Opéra de Rouen, puis La Clemenza di Tito, à l’Opéra de Rennes et à l’Opéra de Nantes. Ensuite, il est prévu un diptyque Gianni Schicchi – Pagliacci en Irlande, une reprise du Barbier de Séville au Festival de Sanxay, Hansel et Gretel à l’opéra du Rhin, à Tours et à Sarrebruck et Edgar de Puccini en Suisse.

Merci beaucoup Pierre-Emmanuel. Reste dans l’immédiat à attendre de voir ce Barbier, soit à Rouen, soit à la TV puisque le spectacle sera diffusé sur France 3 le 5 octobre prochain.

Visuels :

© Klara Beck (Le Barbier) et Thomas Lang (portrait)

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Paul Fourier

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