Opéra
<em>Orphée et Eurydice</em> ou la résurrection de Pina Bausch

Orphée et Eurydice ou la résurrection de Pina Bausch

07 February 2012 | PAR Géraldine Bretault

Entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2005, l’opéra-ballet Orphée et Eurydice fait désormais figure de classique dans l’histoire de la danse, incarnant la quintessence du Tanztheater de Pina Bausch. Il est repris cette année pour la première fois depuis la disparition brutale de la chorégraphe allemande en 2009.

Orphée et Eurydice, c’est d’abord l’histoire d’une résurrection. Pina Bausch avait créé cette pièce en 1975, dans les toutes premières années du Tanztheater à Wuppertal. Déjà, elle avait éludé la fin heureuse du livret de Gluck, supprimant les retrouvailles d’Orphée et Eurydice. Eurydice y mourait une seconde fois. Puis la pièce disparut du répertoire, et un premier travail d’exhumation par la chorégraphe, secondée de son danseur fétiche Dominique Mercy, permit l’entrée de l’œuvre ressuscitée au répertoire de l’Opéra de Paris.

Cette année, c’est à une passation doublement émouvante qu’il est donné d’assister : Dominique Mercy, qui codirige la compagnie depuis le décès de la chorégraphe, a donc supervisé les répétions à la place de la chorégraphe ; il a aussi patiemment transmis son rôle au jeune danseur étoile Stéphane Bullion, qui le danse pour la première fois.

Pourtant, si le livret se déroule entièrement aux Enfers, le parti pris est résolument du côté de l’affirmation de la vie dans toute son exaltation, comme souvent chez Pina Bausch. Car même dans la mort, les amants ne se retrouveront pas, et le dernier tableau déchirant les renvoie à la mort dos à dos. N’attendez pas les Enfers pour célébrer l’amour, célébrez-le ici et maintenant : tel est le message que Pina Bausch semble nous adresser depuis l’au-delà.

Auparavant, l’étoile Stéphane Bullion aura démontré toute sa fougue en interprétant ce rôle difficile qu’est celui d’Orphée, presque constamment présent sur scène, à rebours des autres danseurs. Marie-Agnès Gillot est magistrale, dans un de ses rôles phares, son buste si puissant et expressif semblant avoir été taillé pour interpréter les chorégraphies complexes de Pina Bausch, dont l’écriture fluide laisse la part belle aux torsions de buste et aux bras en extension.

Pour ce ballet, Pina voulait aller plus loin que dans sa précédente création, Iphigénie en Tauride, dans sa volonté de mettre le chant sur un pied d’égalité avec l’expression corporelle : les trois solistes qui chantent les rôles d’Orphée, Eurydice et de l’Amour, sont présents sur la scène, intégrés à la chorégraphie. Au point d’instaurer un trouble qui sert le récit – un couple n’est pas seulement la rencontre de deux corps, c’est aussi l’union de deux âmes, dont les penchants intérieurs peinent parfois à s’accorder à leurs actes. À ce titre, la seconde mort d’Eurydice est un sommet : Orphée pleure sa bien-aimée, agenouillé au fond de la scène, le dos tourné au public, tandis que la cantatrice récite ses lamentations au-dessus du corps sans vie d’Eurydice, à l’autre bout de la diagonale. Comment imaginer plus belle incarnation de la part de soi qui meurt quand l’être aimé disparaît… C’est un pan de notre âme qui est enseveli.

Enfin, il faut rendre hommage au formidable travail de Rolf Borzik, qui fut le compagnon de la chorégraphe et travaillait en osmose avec elle : ses décors, costumes et lumières n’ont pas pris une ride, et l’intelligence du décor frappe à chaque instant, depuis les mouchoirs des pleureuses dans le premier tableau, aux offrandes aux dieux des furies aveugles dans le second, et au décor romantique dans le troisième, jusqu’au dénuement incandescent du quatrième.

Deuil, Violence, Paix, Mort : des tableaux qui annonçaient déjà les sillons que Pina allait creuser toute sa vie durant.

 

Visuels © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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