Opéra
Œdipe d’Enescu à Berlin : la foi en l’homme

Œdipe d’Enescu à Berlin : la foi en l’homme

07 September 2021 | PAR Nicolas Chaplain

La Komische Oper de Berlin ouvre sa saison avec Œdipe d’Enescu, un opéra humaniste qui interroge la culpabilité du héros et relate son combat contre les dieux et contre lui-même, inlassablement motivé par sa foi en l’homme. La mise en scène d’Evgeny Titov est sobre et sombre mais peu surprenante. Le chef Ainars Rubikis exalte la partition et l’orchestre sonne somptueusement.

Pendant vingt-cinq ans de sa vie, le compositeur roumain George Enescu a travaillé à l’écriture de son opéra Œdipe, créé à Paris en 1936. L’écrivain et philosophe Edmond Fleg signe le livret, très poétique et profond, inspiré par les deux drames de Sophocle : Œdipe roi et Œdipe à Colone.  Ainsi, l’opéra raconte toute la vie du héros tragique de sa naissance à Thèbes jusqu’à sa mort à Athènes.

La scène est dépouillée et funèbre. L’action se joue autour d’un large bassin, prisonnier entre des murs gris, hauts et épais tels ceux d’un bunker. Des silhouettes en costumes cendrés évoluent dans cet espace traumatisé et claustrophobique éclairé par des lumières cafardeuses. De l’eau et de la boue maculeront les corps malades et rampants du peuple de Thèbes. Des coulées d’encre noire souilleront les murs et bien sûr, il y aura du sang. La mise en scène intemporelle d’Evgeny Titov est plutôt convenue bien que propice à l’action tragique.

Pendant l’entrée des spectateurs en salle, Œdipe est déjà sur scène, concentré, immobile, le regard en introspection. Leigh Melrose incarne le rôle-titre, écrasant et complexe. Cet Œdipe est lucide, fragile, malheureux, infatigable, combattif. Les images de sa propre naissance défilent sous ses yeux : Jocaste est nue, elle accouche d’un étrange bébé avec une tête d’adulte. Œdipe revoit aussi le berger qui a emmené le bébé loin de Thèbes pour conjurer la prophétie. Il quitte sa mère adoptive, Mérope (Susan Zarrabi) et Corinthe. Il tue son père au carrefour de trois routes. Il rencontre le Sphinx (Katarina Bradic) – une figure androgyne, vêtue d’un tailleur rouge, avec le même visage qu’Œdipe – et le tue en répondant à l’énigme suivante : « Nomme quelqu’un ou quelque chose qui soit plus grand que le Destin ». La réponse est : l’homme. Il devient le roi de Thèbes. La reine Jocaste (Karolina Gumos), dont la concupiscence est ici poussée, accueille immédiatement l’inconnu victorieux, en soulevant sa robe et en écartant ses cuisses. Le devin Tirésias (Jens Larsen) révèle au héros qui il est vraiment. Œdipe se crève les yeux et fuit Thèbes, accompagné par sa fille Antigone (Mirka Wagner). Seul, il clame son innocence et réclame sa délivrance.

Vigoureux, l’orchestre tonne, rugit et s’épanouit sous la baguette du chef letton Ainars Rubikis. La partition monumentale d’Enescu évoque des couleurs romantiques, des subtilités impressionnistes. Elle fait écho au folklore roumain et est emprunte de tendresse et d’une sensualité envoutante. On pense à Wagner, à Debussy, à Fauré. Le chœur chante depuis le deuxième balcon. Ainsi, le spectateur se trouve submergé dans une masse sonore enveloppante et déchirante.

Photo : Monika Rittershaus

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Nicolas Chaplain

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