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Médée à Dijon : quand la moutarde lui monte au nez…

Médée à Dijon : quand la moutarde lui monte au nez…

20 May 2016 | PAR Elodie Martinez

Alors que Nice propose la version italienne retravaillée de la Médée de Cherubini, c’est sa version originelle française que l’Opéra de Dijon a décidé de produire dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf du 17 au 21 mai. Pour notre plus grand plaisir, ce dernier n’a pas « contemporanisé » gratuitement l’œuvre et s’est attaché au respect de cette-dernière, y compris dans la réécriture des dialogues parlés. S’ajoutent à ceci une Médée des plus crédibles interprétée par Tineke van Ingelgem mais aussi une acoustique qui ne permet pas de rendre part de la beauté des voix.

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En ne plaçant sa Médée nulle part, Jean-Yves Ruf la place partout. Il comprend et défend l’idée que Médée est atemporelle : pas d’ancrage chronologique ou géographique ici. Nous sommes dans une « bulle » que vient percer l’héroïne, seul personnage (avec Néris) à ne pas entrer sur scène par l’une des ouvertures du décor mais par l’un des côtés. Le décor est sobre, réduit à l’essentiel afin de laisser toute la place aux personnages.

La réécriture des échanges parlés est aujourd’hui un passage presque obligé : le livret de Hoffmann est très long et en alexandrins. Comme le rappelle Ruf, il est déjà difficile à des comédiens professionnels de dompter cette forme afin de la déclamer correctement et sans la rendre ennuyeuse, alors dans le temps si court des répétitions d’un opéra, il apparaît extrêmement difficile d’exiger des chanteurs un tel travail déclamatoire malgré la beauté du texte. Soulignons donc la réflexion autour de la réécriture qui conserve finalement toute l’idée des alexandrins de départ et même de nombreux passages tels quels. L’emploi d’une légère musique de fond maintenant la tension dramatique durant les dialogues est également efficace.

Esthétiquement parlant, la mise en scène est une grande réussite avec notamment les jeux d’ombres et de lumière : le début de l’acte II, par exemple, offre un tableau superbe, laissant voir Médée dans une sorte de geôle. Tous les panneaux pivotant du décor sont fermés, à l’exception de l’un d’eux, en hauteur, d’où provient la lumière. Lors de l’air de Néris, Médée disparaîtra totalement dans l’ombre de l’un des coins. L’emploi de projections vidéos, peu nombreux, est efficace, comme lorsque l’on voit Dircé dans un gros plan focalisé sur ses yeux, laissant apparaître petit à petit le sang sur son visage.

Quelques bémols cependant sur ce travail globalement très intelligent, à commencer par un gros problème d’acoustique. Si l’idée de cette « boîte » fermée de tous côtés est bien pensée, symbolisant un monde fermé sur lui-même et forcément ouvert sur le public, ou encore une prison dans laquelle s’enferme Médée et qui n’est autre que sa tragédie elle-même, elle n’en demeure pas moins problématique pour les voix qui se répercutent sur ces parois hermétiques et qui n’atteignent le public qu’avec une impression de résonance, légère, certes, mais désagréable. Les micros qui permettent d’entendre les échanges parlés rendent un effet naturel aux voix mais ajoutent très certainement à cette impression.

L’autre bémol concerne le final. Dans cette œuvre de Cherubini, il est normalement impressionnant et spectaculaire, le feu se prenant de partout, la panique se répandant sur scène de même qu’une sorte de véritable apocalypse. Si l’entrée de Médée avec les cœurs de ses enfants ensanglantés dans chacune de ses mains tendues est un véritable choc (sans aucune connotation péjorative ici) et provoque indéniablement une certaine émotion, le tableau final est quant à lui beaucoup trop sage et trop sobre : nulle flamme, seulement de la lumière rouge et l’héroïne qui s’avance lentement vers Jason, à genoux. Le tableau d’un couple, finalement, ramenant l’histoire à son essence. La lecture est donc bonne, toujours intelligente et proche de l’œuvre, mais il manque le spectaculaire attendu ici. De plus, le final choisi est la variante de Cherubini rarement entendue : on a en effet l’habitude d’entendre « Plus heureuse que toi, je m’en vais dans les airs », en parfaite lignée avec le mythe, mais il existe une autre fin du livret qui indique « Plus heureuse que toi, je vais dans les enfers ». C’est cette version qu’a choisi le metteur en scène, ce qui nous ferait d’autant plus attendre quelques petites flammèches par-ci, par-là…

La meilleure mise-en-scène du monde ne fonctionnerait cependant pas sans une interprète du rôle-titre à la hauteur de la partition et du personnage. La performance de Tineke van Ingelgem est ici des plus saluables : elle parvient à incarner une Médée extrêmement crédible, tant dans sa douleur que dans sa colère, dans sa peine, dans son amour, dans sa passion, sa force ou encore sa fragilité. Elle offre une palette de jeu saisissante et l’on ne peut rien redire sur sa diction du français. Côté voix, certaines graves paraissent peut-être un petit peu faibles, mais il est très difficile de juger avec le problème d’acoustique relevé plus haut. A ses côtés, Yete Queiroz est une très belle Néris à qui l’on aimerait donner davantage de texte pour le plaisir de l’entendre plus longtemps.

Face à l’héroïne et à sa suivante, Avi Klemberg, Jason est un parfait monstre de lâcheté qui se cache derrière ses sentiments paternels. Un personnage ici à la hauteur de celui de Corneille qui aime à se donner le beau rôle qu’il n’a pas. Très belle interprétation donc.

Est-ce voulu ou non, Frédéric Goncalves, dans le rôle de Créon, ne cesse de prendre une position qui rappelle un peu celle d’un bélier belliqueux : avec un front en avant et le corps légèrement penché dans la même direction, il manque un peu de majesté à ce roi. Sa fille, interprétée par Magali Arnault Stanczak fait une belle Dircée, mais on sent, au-delà de l’acoustique, un certain manque de legato et de souplesse, peut-être dû à la Première.

Au final, voilà une production dont la réussite est malheureusement fortement atténuée par le problème d’acoustique très gênant qui empêche finalement d’apprécier les voix et de rendre justice aux interprètes (du moins était-ce le cas mardi). La mise en scène intelligente et respectueuse de l’œuvre (mais malheureusement moins du chant) est portée ici par une Médée admirablement incarnée.

© Gilles Abegg_Opéra de Dijon

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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