Opéra
L’Opéra de Tours présente une belle Lucie de Lammermoor

L’Opéra de Tours présente une belle Lucie de Lammermoor

09 February 2023 | PAR Hélène Biard

Tout le monde connaît Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti (1797-1848), mais l’on oublie parfois qu’il existe aussi une version française, fort peu représentée en France comme à l’étranger. La nouvelle production de l’Opéra de Tours est la deuxième sur une scène opératique française après celle coproduite par l’Opéra de Lyon et le Théâtre du Châtelet en 2002.

Si tous les mélomanes ont en tête la très belle production de 2002 présentée au Théâtre du Châtelet puis à l’Opéra National de Lyon, celle proposée par le Grand Théâtre de Tours n’a rien à envier à son « illustre » aînée. Pour ces représentations, les responsables de l’Opéra de Tours ont invité une distribution très largement francophone parfaitement soutenue par l’Orchestre de la région Centre Val de Loire / Tours – dont la situation se précarise dangereusement au point qu’il pourrait disparaître avant la fin de l’année 2023. Si les musiciens n’ont pas pu, selon leurs propres termes et malgré un préavis de grève déposé pour cette production, « se résoudre à priver le public, venu nombreux, de la représentation », ils ont réalisé un geste symbolique en quittant la fosse pendant une dizaine de minutes.

Une mise en scène bien pensée qui aurait mérité d’être un peu plus poussée

C’est Nicola Berloffa qui est en charge de la mise en scène et des costumes. Si nous apprécions de voir une mise scène « classique » peut-être Berffola aurait-il pu, notamment pour la scène de chasse du début et les scènes festives, mettre un peu plus d’animation au lieu de laisser les artistes présents sur le plateau raides comme des piquets. En ce qui concerne les costumes, Lucie elle-même et le chœur féminin ont des robes de toute beauté ; blanche pour la jeune fille et colorées pour les choristes. Il y a, tout de même, matière à regretter que Berloffa n’ait pas préparé une robe ensanglantée pour la scène de la folie au lieu de rajouter un simple manteau de couleur noire sur la robe. Si Henri et le chœur d’hommes ont des habits noirs et des perruques qui correspondent plutôt bien à l’ambiance assez sombre du chef-d’œuvre de Donizetti, l’on doit avouer que le costume et la perruque d’Edgar le font ressembler à un faune plutôt qu’à un jeune noble écossais, fut-il ruiné. Les décors sont très, trop, minimalistes. La forêt de la première scène se résume à quelques chaises noires, parfois gênantes pour les déplacements d’Henri et de Gilbert, disposées sur un plateau totalement nu (à l’exception de trois rangs de projecteurs installés sur les côtés et au fond de la scène). Un module mobile de trois murs apparait de temps à autre comme pour symboliser la « prison » dans laquelle Lucie est enfermée. Les lumières de Valerio Tiberi mettent un peu d’animation dans cette mise en scène certes belle, mais trop épurée.

Dans la fosse l’Orchestre de la région Centre Val de Loire / Tours donne le meilleur de lui-même malgré une situation désespérée

Pour cette production exceptionnelle, c’est la cheffe d’orchestre Joanna Slusarczyk qui dirige l’Orchestre de la région Centre Val de Loire. Après que les musiciens aient pris la parole, comme pour chaque soirée depuis le début de la saison en cours, pour lancer leur cri d’alerte puis quitté la fosse pendant une dizaine de minutes, la représentation peut commencer. Et quelle performance remarquable ils nous offrent ! Si la jeune femme met parfois trop d’enthousiasme dans sa direction, qui est, de temps à autre, un peu rapide, on ne peut lui dénier un professionnalisme et une rigueur dignes des meilleurs. Si on note d’emblée que certaines reprises sont coupées, on ne peut que regretter que la scène de la folie soit, quant à elle, largement rabotée au point de surprendre un public qui n’a pas la possibilité de saluer Jodie Devos comme elle l’aurait mérité. Le chœur de l’Opéra de Tours, comme toujours parfaitement préparé par son chef, se montre sous son meilleur jour. Ils ne sont qu’une petite trentaine, mais la diction et l’interprétation sont impeccables alors que cette partition est difficile, en particulier pour le chœur d’hommes très sollicité pendant toute la soirée.

Une distribution largement dominée par un Florian Sempey autoritaire et charismatique

La distribution invitée à défendre cette Lucie est presque exclusivement francophone. Avec la jeune et séduisante soprano belge Jodie Devos nous avons là une Lucie excellente dont la voix ample à la tessiture remarquable épouse le rôle terrible composé à la perfection par Donizetti. Dès l’air d’entrée « Que n’avons-nous des ailes », Devos imprime sa marque et déroule son chant avec une aisance et un naturel confondants. Il est, malgré tout, dommage que la jeune femme n’ait pas poussé dans ses retranchements dans l’interprétation de la scène de la folie dans laquelle elle chante une seconde partie alternative (« Je vais loin de la terre, au séjour de lumière »), musicalement et vocalement parfaite, mais qui passe presque pour une folie douce.
Florian Sempey est impérial dans le rôle de Henri Ashton. Dès l’air d’entrée « D’un amour qui me brave, il faut venger l’entrave », il plante le décor : son Henri sera sombre, cruel, amer, décidé à retourner dans la lumière, fût-ce au détriment de son entourage. Avec un tel frère, qui ne retrouvera un semblant d’humanité qu’à la mort de sa sœur, quel destin reste-t-il à la malheureuse Lucie ?
Dans le rôle de Gilbert – qui remplace à la fois le Normano et l’Alisa de la version italienne – nous avons la belle surprise de la soirée en la personne de Yoann Le Lan. La voix est un peu claire, mais ferme et sûre ; le rôle du « méchant » est plus important que celui de son « homologue » italien et Le Lan n’en fait qu’une bouchée tant vocalement que scéniquement.
Kévin Amiel est un Arthur de luxe – et là encore, le rôle du fiancé qui finit trucidé est plus étoffé que dans la version italienne – ce dont, en l’occurrence, il y a lieu de se réjouir.
Le cas Matteo Roma – qui incarne Edgar Ravenswood – est plus problématique. Si la voix est belle avec une tessiture ample qui correspond bien au rôle, très meurtrier d’Edgar, le jeune homme fait bien pâle figure face à ses partenaires. Que ce soit dans le duo du 1er acte avec Lucie ou dans le sextuor du 2e acte où il est régulièrement couvert par les autres chanteurs. Ce n’est qu’après l’entracte que le jeune ténor italien parvient à donner à Edgar une vraie personnalité ; la confrontation avec Henri ou son aria « Tombes de mes aïeux, d’une famille éteinte… » sont interprétés avec plus d’assurance que dans la première partie. Cela étant dit, le costume et la perruque d’Edgar n’ont guère aidé le jeune homme à s’approprier son rôle.
Jean-Fernand Setti est un Raymond de très belle tenue ; et on ne peut que regretter que Donizetti ait, pour cette version française, réduit de près de moitié le rôle du chapelain qui, en l’absence de la demoiselle de compagnie, se retrouve être le seul soutien de la malheureuse Lucie qui est sous la pression constante de Henri et de Gilbert.

C’est une très belle Lucie de Lammermoor que l’Opéra de Tours a présenté à son public en ce début février notamment grâce à une distribution, largement francophone et somptueuse malgré un Edgar un peu falot. Même s’il y a quelques imperfections, la production tourangelle aura au moins eu le mérite de faire sortir de l’ombre le « pendant français » de Lucia di Lammermoor.

Visuel : © Marie Pétry

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Hélène Biard

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