Opéra
L’Opéra de Lille ressuscite Xerse de Cavalli et Lully, avec Emmanuelle Haïm à la baguette

L’Opéra de Lille ressuscite Xerse de Cavalli et Lully, avec Emmanuelle Haïm à la baguette

07 October 2015 | PAR Audrey Chaix

Xerse, roi de Perse, marche sur la Grèce. Avant de franchir l’Hellespont, il fait halte à Abydos, sur la rive orientale de la Méditerranée. Là, il tombe sous le charme de la belle Romilda – qui, elle, est déjà folle amoureuse d’Arsamène, le frère de Xerse, et en est aimée en retour. La sœur de Romilda, Adelanta, soupire aussi pour les faveurs d’Arsamène. Cinquième roue de ce carrosse bancal, la princesse de Suse, Amastre, qui aime Xerse sans en être aimée en retour. Un véritable imbroglio d’amours contrariées, cachées ou partagées, qui n’est sans doute pas le premier intérêt de la pièce … 

En effet, l’argument de Xerse n’est pas son point fort : l’histoire de la pièce en elle-même est bien plus fascinante. Jouée pour la première fois à Venise en 1655, cet opéra de Cavalli est repris en 1660 à la cour de Paris, pour célébrer les noces de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche. Pour rendre le spectacle digne de l’occasion, on réécrit la pièce pour l’adapter au goût français. Lully y ajoute des ballets, et le rôle-titre, qui était interprété par un castrat en Italie, est confié à une voix de basse : impossible de faire chanter le roi avec une voix qui n’était pas considérée comme noble en France ! Ce sera l’unique représentation de Xerse en France, jusqu’à cette reprise à l’Opéra de Lille.

Ainsi, Emmanuelle Haïm et le Concert d’Astrée réalisent ici un travail admirable : mêler les deux versions de Xerse, celle de 1655 et celle de 1660, pour offrir au public lillois un objet harmonieux en mêlant le diapason vénitien et le diapason français. La partition est interprétée de main de maître par les musiciens du Concert d’Astrée, scindé en trois ensembles pour l’occasion : les cordes à jardin, les bois à cour, et le continuo (clavecins, orgue, violes et luths) au centre. Cela donne un univers musical particulièrement riche, qui redonne toute sa noblesse à ce qui fut considéré, en son temps, comme la première tragédie lyrique française.

La distribution est très bien réussie, avec une mention particulière pour Tim Mead, qui interprète un très séduisant Arsamène. On comprendra aisément que Romilda (Emöke Barath) et Adelanta (Camille Poul) le préfèrent à son royal frère (Udo Guagliardo), qui semble un peu balourd …

Pour la mise en scène, c’est le Flamand Guy Cassiers, directeur de la Toneelhuis d’Anvers, qui livre ici sa vision de Xerse. Puisant son inspiration dans les fastes de la cour parisienne (qui se trouvait encore au Louvre au moment du mariage de Louis XIV), il situe son action dans un cadre, au sens propre du terme, dans lequel il projette l’image d’une grande galerie (la Galerie d’Apollon du Louvre, où se joua la pièce le jour du mariage royal) pendant l’ouverture et les ballets. Le reste du temps, la reproduction de la victoire de Samothrace – clin d’œil à la fonction moderne du Louvre – préside sur les destinées des personnages, qui évoluent sur un plateau où des chaudes couleurs, des bruns et ors, dominent. C’est visuellement très beau, mais l’on aurait aimé que Cassiers aille plus loin dans son interprétation de la pièce, que sa mise en scène soit plus surprenante et moins classique.

Les plus beaux passages sont sans doute ceux des ballets – bien trop brefs tellement ils sont plaisants à regarder. À l’avant scène, cinq jeunes hommes interprètent des ballets chorégraphiés par Maud Le Pladec, dans des costumes qui oscillent entre ceux de serviteurs de la cour et ceux de faunes des forêts. Gracieux, surprenants, leur présence sur scène est un enchantement. Malheureusement, la place du ballet reste anecdotique, et l’on reste avec une sensation de trop peu.

Xerse est donc un très bel objet, mais il en aurait fallu plus pour qu’il soit exceptionnel. Que l’argument soit d’une banalité sans nom, personne n’y peut rien. Mais l’on aurait aimé plus d’audace de la part de Guy Cassiers pour justement tirer le spectateur de l’ennui qui menace souvent avec cette histoire sans grand intérêt. Heureusement, Emmanuelle Haïm et son orchestre offrent une partition aussi légère que travaillée, qui permet de bien jolis moments d’émotions, notamment lors des arias. De la belle ouvrage.

Photos : © Frédéric Iovino

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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