Opéra
L’indigeste menu de Falstaff au Festival d’Aix-en-Provence

L’indigeste menu de Falstaff au Festival d’Aix-en-Provence

16 July 2021 | PAR Paul Fourier

Barrie Kosky tire l’opéra de Verdi vers une grosse farce outrancière et brouillonne. Certains ont aimé… nous beaucoup moins. La distribution et la direction ne contribuent guère plus à l’enthousiasme.

Falstaff occupe une place à part dans l’œuvre de Verdi et même dans l’histoire de l’opéra. Dans ce dernier opus du génial compositeur, on trouve les codes bousculés, les arias évaporées, les ensembles magnifiés, la musique sur la piste de tendances nouvelles. Œuvre singulière, tournant dans l’histoire de l’opéra, testament du maître, Falstaff donne matière à gloser et philosopher.
Le livret, tiré de Shakespeare, un autre maître indissociable de Verdi, est simple mais porteur de bien des ambiguïtés avec ce personnage jouisseur, lourdaud dans ses intentions et touchant dans ses déboires. Il en résulte, pour le metteur en scène, de belles possibilités d’interprétation (lire ici notre article sur le Falstaff de Hambourg).

Barrie Kosky, lui, part dans deux directions. D’un côté, Sir John serait plus raffiné que ce que l’on nous laisse voir d’habitude. De Gargantua obscène, il devient ainsi un fin gourmet qui cuisine délicieusement bien. Mais, le raffinement s’arrête là car il prend aussi plaisir à se balader cul nu et surtout à prendre des poses ridicules et répétées… jusqu’à plus faim. Car ce qui devient assez rapidement indigeste dans ce qui nous est proposé, c’est cette accumulation de gesticulations auxquelles vont se prêter ensuite tous les personnages. Kosky emprunte ainsi la voie d’une forme de commedia dell’arte avec ses clowns aux mimiques et poses appuyées et aux perruques multiples. Côté décor et papier peint, on retrouve une esthétique à la Jérôme Deschamps et ses Deschiens ou à la Christoph Marthaler, mais, dans le genre, ces deux-là savent apporter bien plus de nuances décalées que ne parvient à le faire le metteur en scène australien. Une grande partie du public accroche, s’esclaffant pendant toute la représentation. Mais si l’on n’est pas sensible à cette forme d’humour potache et répétitif, la soirée devient bien longue…

Dans la fosse, Daniele Rustioni semble accordé avec la mise en scène tant sa gestuelle (habituelle) est expansive, sa chevelure ébouriffée et ses bras pris dans d’incessants mouvements aériens. Pourtant, sa lecture de l’œuvre de Verdi, certes brillante, reste trop sage et peine à faire émerger les trésors de raffinement musicaux qui sont contenus dans la partition. L’ensemble est finalement assez lisse et rend peu hommage au génie de Verdi.

Si la distribution brille par ses talents d’acteurs, rejoignant les intentions du metteur en scène, elle est, vocalement, correcte, sans plus.

Le Ford de Stéphane Degout et la Nanetta de Giulia Semenzato émergent vraiment du lot. Le premier sait user de toutes les subtilités de son timbre riche de baryton pour ce mari jaloux, seconde victime de la bande déchainée de commères. Et elle possède toutes les nuances du rôle et contribue à l’un des rares moments de poésie de la soirée.
Les personnages campés par Daniela Barcellona, Carmen Giannattasio et Antoinette Dennefeld sont certes fort drôles, mais, comme si le jeu avait pris le pas sur le chant, aucune ne semble suffisamment inspirée pour faire émerger les individualités au-delà du collectif. Le Fenton de Juan Francisco Gatell a une voix bien inégale et s’accorde mal avec sa délicieuse Nanetta. Quant aux trois compères, Gregory Bonfatti, Rodolphe Briand et Antonio di Matteo, ils remplissent vocalement leur office et sont irréprochables dans leur rôle de clowns.
Dans le rôle de Sir John Falstaff, Christopher Purves donne de sa personne, se pliant à toutes les simagrées qui lui sont demandées. En accord avec son personnage transformé par Barrie Kosky, la voix perd malheureusement aussi le chemin de l’outrance, des emportements et de la truculence. En un mot, c’est « l’épaisseur » du gros homme shakespearien qui fait défaut.

En faisant ces choix, l’on aurait pu croire que Barrie Kosky apporterait une touche de folie supplémentaire à la comédie virtuose de Verdi. Au final, drôle de paradoxe, il semble avoir réduit la focale et enfermé toute l’équipe plus qu’il ne la libère.
Il arrive parfois que dans un restaurant, les convives aient du mal à s’accorder sur la qualité des plats, certains les trouvant juste à leur goût, certains trop salés ou trop épicés. C’est indéniablement le sentiment qui nous a saisi pour ce Falstaff. Indépendamment des étoiles qui figurent sur le guide, voilà une table qu’il est difficile de recommander à coup sûr.

Visuels : © Monika Rittershaus / Festival d’Aix-en-Provence

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