“Le Journal d’un Disparu” à l’Opéra de Lille : une œuvre aussi belle que rare
Après Jenufa et La Petite renarde rusée, l’Opéra de Lille poursuit son exploration de l’œuvre du compositeur tchèque Leos Janacek avec Le Journal d’un Disparu, pièce musicale hybride entre le Lieder et opéra miniature. Il y conte l’histoire d’un jeune fermier amoureux d’une tzigane. Autour d’un ténor (chanté par Paul O’Neill), seules une mezzo (Marie Karall) et trois voix de femmes pour composer le reste de la distribution. Sans oublier le piano, joué par Alain Planès qui assure aussi la direction musicale du Journal d’un Disparu. En prélude à cet opéra miniature, Planès a choisi de présenter une partie des Chœurs pour voix d’hommes a cappella, aussi puissants que fascinants. Le tout est orchestré par une mise en scène de Christian Rizzo, fidèle compagnon de route de l’Opéra de Lille.
En première partie, le chœur de l’Opéra de Lille, dirigé par Yves Parmentier, propose une lecture magnifique des chants pour chœur de Janacek. Des thèmes d’inspiration populaire s’y succèdent, de la vie paysanne à la perte de l’amour, en passant par la mort, l’errance, la jalousie… Des notes de piano se font entendre au début de chaque morceau, mais ce sont vraiment les hommes composant le chœur qui sont mis en valeur par une sobre mise en scène : de grands panneaux de bois ajourés, manipulés par des hommes vêtus de noir et portant chapeau, se déplacent sur scène pour accompagner les mouvements du chœur. Si cela permet de dynamiser la scène, la signification réelle de ces déplacements constants n’est pas toujours très claire. Cependant, grâce à un travail de lumière extrêmement bien pensé, les hommes du chœur sont véritablement mis en valeur, et l’ultime tableau de cette dernière partie marque par sa puissance sonore aussi bien que visuelle. Car la maîtrise des chants est parfaite, et la direction musicale impeccable : on est ravi de découvrir cette œuvre peu connue de Janacek dans une proposition musicale aussi intéressante.
La deuxième partie est consacrée au Journal d’un Disparu, et forme véritablement une deuxième pièce indépendante de la première, le seul fil rouge les reliant étant leur compositeur commun. Le plateau reste très dépouillé, avec simplement le piano côté jardin, un panneau de bois en fond de scène sur lequel sont projetées des vidéos évoquant la nature, et le ténor au centre du plateau. Vêtu d’un gilet de laine évoquant le folklore de l’Europe de l’est, il interprète un paysan fou amoureux d’une tzigane, et pour laquelle il renonce à tout, y compris à la vie puisqu’il finit par disparaître mystérieusement. La partition se déploie avec beaucoup de justesse, alors que la mise en scène semble plus apposée au propos qu’elle ne se coule vraiment dans une véritable harmonie avec la musique. Les images restent visuellement très belles, mais elles ont un côté superficiel qui n’ajoute pas grand chose à la musique.
Cela reste malgré tout une pièce de très belle facture, qui permet de découvrir une musique à la fois belle et étrange, inspirée du folklore tchèque mais qui transcende son époque sans paraître datée.
Photos : © Frédéric Iovino