« Le Jardin englouti » : L’Opéra de Lyon ose la 3D pour un résultat qui fait son effet !
Qui a dit que l’Opéra était un art vieillot ? Qui prétend que tout n’y est que déjà vu ou qu’il ne s’inscrit pas dans son époque ? Qui, enfin, ne le croit pas capable d’évolution ? L’Opéra de Lyon balaie ses idées préconçues d’un revers de lunettes 3D dans le cadre de son festival « Les jardins mystérieux » avec le film-opéra Le jardin englouti de Michel van der Aa sur un livret de David Mitchell, le tout ne remontant pas plus loin que 2013. Un opéra qui se marie sur scène avec la 3D, voilà du jamais vu. Intriguant ? Certes… mais l’effet est bien là !
Certainement pour des raisons techniques, l’œuvre ne se joue pas dans l’enceinte de l’Opéra de Lyon mais au TNP (Théâtre National Populaire) à Villeurbanne. Au contrôle des tickets, le personnel note le port de lunettes ou non et donne une paire de lunettes ou de sur-lunettes 3D rangées dans un bel étui, le tout étant immaculé. On est loin des lunettes à la Nana Mouskouri dans des sachets en plastiques et sales en deux minutes vendues à l’entrée des cinémas ! Bien sûr, dans le cas du Jardin englouti, il faut restituer l’objet à la sortie, mais le soin porté au bien-être du spectateur est notable.
Une fois équipé, nous entrons dans la salle et découvrons la scène. Le décor est assez sobre, amovible, fait de pièces rectangulaires sans mur et un seul petit écran est présent. Ne le cachons pas, on s’interroge : comment tout cela va-t-il se passer ? La voix annonçant le début de l’opéra explique qu’il faudra mettre les lunettes plus tard, en précisant le moment. Dans le cas où nous aurions oublié, les tableaux de surtitrage affichent en italique de bien vouloir mettre ses lunettes. Amusant de voir une salle entière devant un opéra effectuer ce mouvement à l’unisson.
Outre cette curiosité technologique, la question de l’opéra-film se pose. Le mariage est-il réussi et cohérent ? La réponse est oui, assurément. L’histoire est moderne, fantastique, frôlant presque avec de la science-fiction, rebondissement à la clef. Tout commence simplement : un artiste cinéaste, Toby Kramer (Roderick Williams), fait part de son projet à la représentante de la fondation qui le subventionne, Zenna Briggs (Katherine Manley). Il s’agit d’un documentaire portant sur l’étrange disparition d’un jeune homme, Simon Vines (Jonathan McGovern), survenue quelque temps plus tôt. En poursuivant son enquête, il découvre que Simon s’était épris d’une jeune femme qui a elle aussi disparu, Amber Jaquemain (Kate Miller-Heidke). Se mêle alors à la scène la diffusion des films de ses recherches faisant intervenir de nombreux personnages sans que l’on ne s’y perde pour autant.
Toby finira par découvrir un endroit mystérieux où les âmes disparaissent, nourrissant un être étrange, mais nous n’en dirons pas plus. Face à cet être mangeur d’âme se trouve un dernier personnage, le docteur Iris Marinus (Claron McFadden). Le duo des deux interprètes se confrontant et se combattant dans un formidable « war » est superbe, le tout porté par une musique moderne mais non expérimentale comme peut l’être la musique contemporaine. On pourrait même aisément y trouver un petit côté « Brodway » auquel s’ajoute une musique électronique et/ou préenregistrée !
Enfin, les interrogations du texte portent la réflexion du publique : ce jardin créé de toute part est un entre-deux mondes, ni dans la vie, ni dans la mort, où les êtres sont libérés de leurs souvenirs et de la souffrance des remords. Pour se libérer de la douleur, il faut s’oublier. Le prix est élever et la question se pose : n’en vaut-il tout de même pas la peine ? Pessimisme et optimisme se rencontrent dans cette production alliant réalité et virtuel (deux des chanteurs n’apparaissant jamais sur scène physiquement) : le texte nous dit qu’en naissant nous sommes prisonniers d’un contrat signé par ceux qui nous mettent au monde. La première de ces closes est que nous souffrirons, la deuxième est que nous espérerons également.
Un opéra qui allie avec intelligence la technologie 3D, une musique intéressante, moderne sans sombrer dans le contemporain, et une histoire qui ne finit pas au baisser de rideau. Le tout pour 30 euros ! A voir donc et à méditer…
© Michel Cavalca
© Marco Borggreve pour le portrait de Michel van der Aa