La trilogie Mozart / Da Ponte présentée à l’Opéra National de Bordeaux : Don Giovanni « épisode 2 sur 3 »
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) a composé vingt-six opéras dans sa courte vie ; et dans ce corpus opératique non négligeable, trois d’entre eux ont le même librettiste : le poète Lorenzo Da Ponte (1749-1838). C’est cette trilogie que l’Opéra National de Bordeaux a décidé de présenter à son public très nombreux, en ce chaud mois de mai. Les trois opéras sont mis en scène par Ivan Alexandre et dirigés par Marc Minkowski.
Après Le nozze d Figaro, nous revoilà au Grand Théâtre de Bordeaux pour Don Giovanni, le second opus de la trilogie Mozart / Da Ponte. Composée en 1787, peu après le décès du père de Mozart, l’œuvre a été créée à Prague la même année ; c’est cette version que présente l’Opéra de Bordeaux ce qui signifie que Don Ottavio ne chante pas son aria du 1er acte, rajouté plus tard à la demande du créateur du rôle à l’occasion de la création viennoise quelques mois plus tard.
Une mise en scène qui fonctionne
Nous retrouvons donc le duo Alexandre / Fontaine pour la mise en scène, les décors les costumes et les lumières. Comme pour Cosi fan tutte, les artistes évoluent sur le devant de la scène avant le début de la soirée. Si Ivan Alexandre pousse avec bonheur ses artistes à utiliser leurs dons de comédiens, on aurait fort bien pu se passer du strip-tease que nous propose Leporello – par ailleurs excellemment interprété par Robert Gleadow – pendant son air du catalogue. Un catalogue matérialisé par un carnet digne de ce nom eut été sans doute mieux bienvenu que les tatouages inondant le corps du baryton canadien et nous aurait évité cette scène ridicule.
Le chœur enfin présent sous forme d’ensemble vocal
Si nous avions regretté l’absence totale du chœur dans Le nozze di Figaro, il est, cette fois, bien présent dans Don Giovanni. Étant donné le peu d’interventions de l’ensemble tout au long de la soirée, ce sont une douzaine d’artistes du chœur qui ont été invités sur le plateau. La noce de Masetto et de Zerlina est peut-être un peu rapide, mais la fête de Don Giovanni est de très belle tenue. Le finale, lui, est glaçant à souhait avec ces prêtres installés tout autour du plateau, prêtres venus prononcer le jugement de Don Giovanni. Dans la fosse, Marc Minkowski et l’orchestre de l’Opéra National de Bordeaux, font merveille dans l’interprétation de la musique de Mozart.
Une distribution jeune, soudée et de très belle tenue, mais largement dominée par un Alexandre Duhamel survolté
Si nous retrouvons des artistes vus dans Le nozze di Figaro, c’est l’excellent Alexandre Duhamel qui interprète le rôle-titre. Nous avons là un Don Giovanni mordant, méchant, sournois, retors prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Et même si la sérénade, accompagnée par un mandoliniste venu sur le plateau et installé juste à côté de Don Giovanni, n’est pas aussi mordante que les autres airs du personnage, Duhamel nous offre une performance exceptionnelle.
Robert Gleadow, Figaro remarquable le vendredi soir, campe un Leporello de très belle tenue. Malgré le strip-tease pendant l’air du catalogue, la belle voix de baryton du Canadien se hisse sans effort au niveau d’Alexandre Duhamel qui avait pourtant mis la barre très haut.
Le ténor français Julien Henric est un bel Ottavio ; comme Marc Minkowski nous présente la version de Prague, le jeune homme est privé de l’aria du premier acte. Mais le ténor, l’une des deux surprises de la série, donne de très belles choses à entendre pendant toute la soirée.
Les responsables de l’Opéra National de Bordeaux ont confié le petit rôle du Commandeur à l’autre très belle surprise de la soirée : Alex Rosen ; le jeune homme incarne aussi et surtout un excellent Masetto. Le jeune baryton américain se montre sous son meilleur jour tant dans les très courtes apparitions du commandeur, dont l’intervention en fond de salle pendant la scène du cimetière est à la fois surprenante et très bien pensée par Ivan Alexandre qui a là une de ses plus brillantes idées, qu’en Masetto jaloux et revanchard.
La jeune mezzo-soprano Alix Le Saux est une Zerlina certes sympathique tant vocalement que scéniquement, mais qui gagnera en maturité avec le temps ; avec la marge de progression qui est la sienne, nous espérons la revoir très bientôt au top dans ce même rôle, et dans d’autres.
La donna Elvira d’Arianna Venditelli, qui réalise l’alternance avec Angela Brower dans le rôle de Susanna des Nozze di Figaro les 30 mai et 4 juin prochains, est vocalement de très belle tenue mais sur un plan scénique cela reste assez scolaire. Être en costume gilet et pantalon ne l’a peut-être pas aidée à se sentir totalement à l’aise.
Iulia Maria Dan campe une belle Donna Anna, mais qui manque un peu de mordant. Le chagrin de Donna Anna face à la mort de son père chéri est peu convaincant, bien que la jeune femme fasse de beaux efforts pour tenter de l’être. Vocalement, la voix est idéale pour ce rôle aux aigus terribles, bien qu’encore un peu tendre ; mais nous ne doutons pas que d’ici à quelques années qu’elle sera l’une des grandes titulaires du rôle de Donna Anna.
Malgré les imperfections inhérentes à toute première, c’est un Don Giovanni de très belle tenue que nous a proposé l’Opéra de Bordeaux. Si Alexandre Duhamel domine largement la distribution, le Leporello de Robert Gleadow n’a rien à lui envier. Sans oublier les deux très belles surprises que sont Julien Henric et Alex Rosen.
Visuels : © Éric Bouloumié
À l’Opéra National de Bordeaux, jusqu’au 5 juin.