La renaissance du Postillon de Lonjumeau à l’Opéra Comique
L’Opéra-Comique a encore ressuscité une œuvre que personne ou presque n’a jamais entendue mais tout le monde connaissait dans toute l’Europe au 19e siècle. Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam renaît grâce à un dépoussiérage radical et un lifting puissant de Michel Fau.
Un métier voué à disparaître avec le développement du chemin de fer, des ascensions sociales des petites gens désormais possible après Bonaparte, l’Ancien Régime vu au prisme de la Restauration… L’opéra-comique en trois actes d’Adolphe Adam sur le livret d’Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick, créé en 1836 à l’Opéra Comique, a tout l’air d’une œuvre « sociétale » avant l’ère, mais il n’en est rien. C’est avant tout l’histoire d’un couple qui se marie deux fois à dix ans d’intervalle dans une circonstance totalement fantaisiste. Le postillon Chapelou, fraîchement marié, est parti à Paris le jour même de ses noces avec le marquis de Corcy, administrateur de l’Opéra, pour devenir un chanteur d’opéra sous le nom de Saint-Phar ; la gloire est à ses yeux plus attirante que sa femme ! Madeleine, la nouvelle mariée aussitôt délaissée, a entre-temps hérité de la grande fortune de sa tante et pris le nom de Mme de Latour. Ils se retrouvent donc dix ans plus tard, et après quelques intrigues et quiproquo, ils redeviennent mari et femme, cette fois-ci pour de vrai.
Cette histoire vraisemblable est racontée par un livret typique d’opérette seconde degré où la légèreté domine avant tout. La musique d’Adam n’est pas de grande facture mais elle est étonnamment efficace : une fugue sur des paroles complètement insignifiantes à la fin du premier acte surprend. Si le compositeur était seul à s’intéresser à la musique de l’Ancien Régime (donc baroque) dans la France de la première moitié du 19e siècle, à la retrouver et l’étudier à la Bibliothèque du Conservatoire, sa musique n’a rien de telle, même pas dans la scène de l’opéra dans l’opéra du deuxième acte et malgré le nom de Jolyette, haute-contre et musicien de la Chambre du Roi, que prononce notre héros. Des mélodies faciles à retenir qu’on fredonne en sortant du théâtre, comme toutes les bonnes opérettes (plutôt qu’un opéra-comique comme l’indication désignant cette version, encore moins qu’un opéra que chantait Saint-Phar) et, surtout, les fameux contre-ré du ténor, ont fait le succès de l’œuvre qui se jouait sur la scène de sa création 569 fois jusqu’en 1894 avant de disparaître du répertoire.
La mise en scène de Michel Fau joue à fond la carte de kitsch. Des châssis et des panneaux aux dessins de fleurs, voiture, hêtre, lit à baldaquin et autre objets dessinés aux gros traits noirs comme des figures de bandes dessinées servent de décors imaginés par Emmanuel Charles. Éclairés par des couleurs fort différentes à chaque tableau sous les lumières de Joël Fabing, ces décors rappellent irrésistiblement une maison de poupée, avec laquelle les petites filles d’autrefois jouaient aux mariés et à la reine… Les costumes de Christian Lacroix sont également kitsch mais d’une richesse et d’une beauté absolument ravissantes. À quoi s’ajoute le maquillage outrageux de Pascale Fau, tellement en phase avec le caractère « baroque » de tous les éléments… L’ensemble scénique est ainsi un véritable enchantement.
Le ténor américain Michael Spyres (Chapelou / Saint-Phar) est incontestablement le chanteur qui rend cette production possible, avec ses airs aux contre-ut et contre-ré (et encore !). Si sa projection naturelle et son timbre solaire sont si agréables, il assure aussi très honorablement la partie parlée. Au premier acte, la soprano canadienne Florie Valiquette (Madeleine / Mme de Latour) démarrait assez timidement, mais dans son air colorature du début du 2e acte, elle déploie toutes ses belles capacités vocales et expressives dans une prestation de haute volée. Franck Leguérinel incarne parfaitement le Marquis de Corcy ridicule et jaloux (sur le plan de la comédie il est certainement le meilleur acteur de la soirée) et Laurent Kubla, irrésistible Gil Perez dans Le Domino Noir d’Auber (créé en 1837 soit un an après Le Postillon) à Liège et à l’Opéra-Comique au cours de la saison dernière, réjouit le spectateur par son talent et son physique qu’il « colle au pile » au forgeron Biju devenu Alcindor dans la cour de Louis XV.
Sébastien Rouland dirige l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie avec assurance, rattrapant rapidement quelques petits décalages avec les chanteurs lorsque cela se produit. Le chœur, Accentus et celui de l’Opéra de Rouen Normandie réunis, montrait quelque faiblesse, en particulier, l’effet de masse escompté n’arrivait pas, mais s’intègre avec bonheur dans l’ensemble du spectacle qui est à voir absolument !
Prochaines représentations : 3, 5, 7 et 9 avril.
photos © Stefan Brion