Opéra
« La femme sans ombre » de Strauss s’interroge sur l’humanité de la femme

« La femme sans ombre » de Strauss s’interroge sur l’humanité de la femme

25 February 2020 | PAR Yuliya Tsutserova

Le soir du 17 février 2020, pas une seule place libre à la représentation monumentale de « La femme sans ombre » de Richard Strauss au Théâtre des Champs-Élysées. Un questionnement sur le genre, certes, mais aussi une méditation poignante sur les droits – et les devoirs – fondamentaux des êtres humains, sur leur pouvoir sur les autres et – plus important encore – sur leurs propres désirs et volontés. Ces profondeurs des cœurs humains sont à sonder sur France Musique samedi le 16 mai 2020 à 20h00.

C’est un questionnement profondément éthique dans la mesure où il s’agit, d’une part, de l’épanouissement du potentiel de l’être humain (notamment sa capacité de reproduction) et, d’autre, des limites que la poursuite d’un tel épanouissement peut rencontrer dans les cas où elle empiète sur l’exercice de libre arbitre de l’autrui. Dans cet opéra, bien en avance sur son époque, il n’est pas simplement question de l’oppression d’une femme par un homme, mais d’une femme par une autre femme et d’une femme par son propre futur enfant : questions surprenantes, questions déconcertantes, mais au bout de compte, des questions qui portent sur la gouvernance du cœur de la femme et sur le don libre de ce cœur – soit il à un homme, à une autre femme, ou à son propre futur enfant.

Elza Van den Heever en l’Impératrice et Lise Lindstrom en La Teinturière créent des personnages plus grands que la nature : ce sont des femmes complexes aux désirs puissants et librement exprimés, des femmes prêtes à descendre jusqu’aux enfers pour revendiquer ce qui leur revient, mais aussi des femmes capables d’abnégation la plus profonde dans leur empathie pour la souffrance actuelle et anticipée de leurs époux, leurs enfants et d’elles-mêmes. Leurs sopranos dramatiques sont d’une ampleur et endurance à faire s’effondrer et se rebâtir au cours de trois heures les deux royaumes qui les séparent et les unissent, le royaume d’esprits et le royaume humain, trop humain. Aux côtés de ces femmes, deux hommes éperdument épris confrontent leur pétrification et infertilité imminentes avec une magnanimité et confiance à attendrir les plus impitoyables lois de l’univers. Stephen Gould en l’Empéreur expire toute l’ « extase de cette première heure » où il a découvert sa délicate « gazelle blanche », toute l’exubérance et légèreté du cœur d’un amant idolâtré : son chant jette un sort auquel on ne se dépêche pas à échapper. Michael Volle en Barak est la vraie voix de l’humanité : peu étonnant que c’est la voix qui touche au vif le coeur de l’Impératrice que même son amant « n’a pas réussi à dénouer ».

Encore deux voix extraordinaires complètent la distribution magistrale de cet opéra : La Nourrice de Michaela Schuster et Le Faucon de Katrien Baerts. Les cries déchirantes du faucon, l’intercesseur pour l’humanité – « Comment peux-je ne pas pleurer ? La femme n’a pas d’ombre, et l’Empereur se transforme en pierre ! » – sont poussés par Baerts de façon à éveiller, aux points critiques de l’opéra, toute l’urgence et toute l’espoir d’une décision juste et redemptrice contre toute attente. Du côté « procureur », la voix de Schuster bouillonne de l’indignation et de la méprise de La Nourrice pour la dépravation de l’humanité, c’est une véritable éruption d’un torrent spumeux et incontournable, qui plongerait volontiers toute l’humanité dans un déluge des proportions bibliques.

Un opéra qui a connu une conception et un accouchement si précaires et prolongés et qui n’a vu le jour qu’à l’aube grise et sombre du lendemain de la Première Guerre mondiale, où trouve-t-il le courage de croire encore en l’humanité ? Peut-être là où que les êtres humains peuvent pénétrer : en passant par les enfers et jusqu’au-delà.

Visuel : © Rosie Hardy

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Yuliya Tsutserova

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