Opéra
Interview de Vincent Boussard, metteur en scène de “Manon” de Massenet à Séoul, premier opéra en scène post COVID ce 25 juin 2020

Interview de Vincent Boussard, metteur en scène de “Manon” de Massenet à Séoul, premier opéra en scène post COVID ce 25 juin 2020

16 June 2020 | PAR Yaël Hirsch

Le 17 mai dernier, quelques jours après le début de notre déconfinement, le metteur en scène français Vincent Boussard prenait l’avion pour Séoul avec en ligne de mire 14 jours de quarantaines et puis des répétitions masquées. Son Manon de Massenet, dans une version créée spécialement pour le Korea National Opera en 2018, se joue officiellement le 25 juin 2020 à Séoul et il s’agit du premier opéra pleinement en scène après la crise sanitaire. Il nous parle de cette oeuvre et de la reprise.

Est-ce vraiment le premier opéra que l’on pourra voir dans le monde post-COVID ? Pourquoi est-ce plus facile à Séoul qu’ailleurs ?
Il semblerait que ce soit le premier opéra complet post-COVID, au sens où le spectacle sera donné dans des conditions similaires à celle de la période pré-covid, sans mesure affectant le déroulement et l’exécution de l’œuvre. La Corée du Sud a pris des décisions et  adopté une conduite qui, aujourd’hui, l’autorise à ré-ouvrir son Opéra National dans les meilleures conditions. Nous n’en tirons pas de fierté mal placée, mais ressentons fortement le caractère unique de la situation : nous sommes les seuls aujourd’hui en répétition en vue d’une première dans moins de deux semaines, dans des conditions normales de production.

Un opéra français et un metteur en scène français pour cette première, c’est porter haut les couleurs de notre pays…

Le KNO s’intéresse de près au répertoire français. C’est ainsi que j’y mis en scène également les Contes d’Hoffmann en octobre dernier. Une production de Samson et Dalila (dont je n’assure pas la mise en scène) est prévue également pour la saison prochaine etc. Le goût pour notre répertoire est donc affirmé. Quant à ré-ouvrir avec un titre français, cela relève du pur hasard : cette production était programmée pour juin avant la crise que nous venons de connaître. Il n’en reste pas moins que, comme vous le dites, je suis heureux de porter haut notre répertoire et lui donner un visibilité toute particulière dans ces temps troublés.

Comment la crise sanitaire a-t-elle modifié cette production ?

Avant de commencer les répétitions j’ai dû me soumettre à une quarantaine de 15 jours. Elle s’est déroulée de manière assez rigoureuse, dans un lieu choisi par l’administration sanitaire coréenne, hors Séoul, avec pour règle première, l’interdiction absolue de sortir de sa chambre et d’entrer en contact direct avec qui que se soit. Les quelques personnes que vous entrevoyez par la porte entrebâillée sont revêtues de scaphandre de protection et de masque intégrale. Cela dit, les efforts générés ne sont rien en comparaison avec le plaisir d’être à nouveau en répétition.
Celles-ci se déroulent dans un cadre absolument serein, sans précaution particulière autre que le port d’une visière transparente et une prise de température avant chaque séance. Les coréens font naturellement montre d’une grande discipline quand il s’agit d’œuvrer pour le bien collectif et ils n’ont pas découvert le port du masque avec le COVID. Seront données comme prévu quatre représentations de Manon, devant une salle dont la jauge a été réduite afin de garantir un minimum de distanciation entre les spectateurs.

Pouvez-vous nous parler des voix et des musiciens ?

Les chanteurs sont tous coréens, mais pour la grande majorité d’entre eux ils ont été formés par des professeurs en Europe, ont fréquenté les opera studios ou académies européennes. Ils sont donc rompus au répertoire classique de l’opéra. Le nombre de chanteurs coréens de grande qualité évoluant au niveau international est très important et on retrouve nombreux d’entre eux dans les ensembles, en Allemagne notamment, ou les concours internationaux.

Avez-vous dû faire des changements dans votre mise en scène liés à la crise que nous traversons ? Par exemple dans les échos du Bagne ?

Aucun changement dû au COVID n’a été opéré dans cette version créée spécialement pour le Korea National Opera, en 2018. La précédente en 2015 était une coproduction entre l’Opéra National de Lituanie et l’Opéra de San Francisco. Pour le Bagne, Massenet et ses librettistes ont fait le choix d’ignorer l’épisode américain (contrairement à Puccini qui fait mourir Manon à la Nouvelle-Orléans). Ici, elle s’éteint dans les bras de Des Grieux sur la route qui l’amène à Calais en vue d’une déportation. Le COVID n’a pour ainsi dire pas réellement modifié ma perception de l’œuvre, qui s’est forgée avant cette crise. Mais bien sûr comme tous les éléments marquants, collectifs ou individuels, j’imagine que mon travail à venir pourrait s’en trouver affecté, sous une forme que j’ignore encore.

Vos projets suivants ont-ils été beaucoup transformés par la crise sanitaire ?

Certains ont été annulés. C’est le cas de Candide (de Leonard Bernstein) que je devais présenter à l’Opéra de Lausanne en mars ou encore d’Hamlet (d’Ambroise Thomas), qui devait être joué dans le cadre du French May de Hong Kong. Candide a été annulé quelques jours avant la première, le travail de répétition étant presque achevé. La direction de l’Opéra de Lausanne a pris la décision de reprogrammer le spectacle ultérieurement (de même Hamlet sera présent dans deux ans). Pour d’autres, en cours de préparation, il est encore difficile d’évaluer quel sera l’impact de la crise sanitaire sur leur dramaturgie. Faut-il d’ailleurs absolument « sur-réagir » en la matière ? Toutes les œuvres ne portent pas nécessairement en elles de quoi faire écho explicite à cette crise. Je me méfie beaucoup des tentatives de plier de manière volontaire les œuvres aux circonstances, ce qui souvent les dénature. Par contre je suis très à l’affût d’éventuels alignements, comme il en va parfois des planètes, des œuvres et des circonstances qui donnent à ces dernières, qu’on croit parfois inertes, une vie et un relief insoupçonnés.

Visuel ; photo des répétitions © Korea National Opera

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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