Opéra
Des Huguenots chics et hauts perchés à l’Opéra de Paris

Des Huguenots chics et hauts perchés à l’Opéra de Paris

04 October 2018 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’au 24 octobre 2018, l’Opéra de Paris remet au goût du jour une oeuvre de Meyerbeer et Scribe qui connût le triomphe en son temps (1836) et qui était tombé en disgrâce : il n’avait jamais plus été donné dans la capitale française depuis 1936.

[rating=4]

Le résultat est cinq heures de musique qui chante sans cesse, menée avec tact par Michele Mariotti et interprété avec grâce par un cast foudroyant où figurent entre autres Lisette Oropesa, Ermonela Jaho, Florian Sempey, Karien Deshayes et Yosep Kang. De la grande musique française qui transmue la Saint-Barthélémy en prétexte d’intrigue amoureuse et rendue sobre par un metteur en scène allemand : Andreas Kriegenburg.

Tout commence hors de Paris, dans la riche Touraine (plusieurs fois célébrée notamment par le superbe chœur de femmes “Ô beau pays de la Touraine” à l’acte 2), transformée sur le plateau en structure haute et large et blanche aux arabesques du plafond qui rappellent le Mucem. Les parpaillots sont réunis au château d’un des leurs, le comte de Nevers (Florian Sempey, toujours incroyablement parfait, lire notre article sur son récital à l’Instant lyrique) et avancent en couleurs fortes tandis que les huguenots menés par le jeune et fringant Raoul (Yosep Kang, qui remplace au pied levé Bryan Hymel souffrant pour toute la production et dont le joli timbre séduit dès le premier air solo). Raul est plutôt bienvenu et il croise la belle Valentine (Ermonela Jaho, parfaite) qu’il croit être une maîtresse du très vert Nevers alors qu’elle vient rompre ses fiançailles très comme il faut avec lui. Dans le deuxième acte, c’est l’apparition : en Marguerite de Navarre d’un autre château blancs aux arabesques (et aux bains à la Ingres un peu clichés), la divine Lisette Oropesa (lire notre interview) est à la hauteur de toutes nos attentes. Elle ne fait que nous éblouir au fur et à mesure que progresse l’acte autant par sa voix puissante que par son jeu et l’on fond à l’écoute du formidable “Ah ! si j’étais coquette”. Elle essaie d’apporter la paix en organisant le mariage de Raoul et Valentine. Les deux partis – et surtout le père de la promise catholique à un gentilhomme huguenot – acceptent. Mais quand Raoul reconnaît celle qu’il prend pour la maîtresse de Nevers il la repousse et l’humilie. C’est à Paris que Valentine se décide à épouser Never, mais au Ve acte, son père prend la tête d’une conjuration de catholiques qui lancent la Saint Barthélémy. Le galant Nevers est  le seul qui s’oppose au massacre. Terrorisée, Valentine accourt et supplie l’homme qu’elle aime, Raul, de se cacher auprès d’elle et de ne pas risquer sa vie. Lui qui a reconnu la vertu en elle trop tard hésite. L’amour surnage dans le carnage…

A suivre précisément l’intrigue, l’on se prend quand même à penser qu’avec plus d’intrigue et plus de modulations, ces Huguenots auraient pu être notre Don Carlo à la française… L’Histoire comme sujet d’opéra, c’est assez parfait et c’est dommage de l’inviter sur scène pour mieux la congédier. La faute à Eugène Scribe et Giacomo Meyerbeer.

Il aura donc fallu 80 ans et une production mise en scène par Olivier Py à la Monnaie, à Bruxelles, pour que les Huguenots retrouvent le haut du pavé à Paris. Et avec un livret, comme une musique assez empesés, le challenge était grand. Si elle ne donne pas plus de profondeur à cette intrigue si banale pour un sujet si grand, la mise en scène sobre, élégante de Andreas Kriegenburg donne un coup de chic à l’oeuvre avec ses costumes léchés et ses grands espaces blancs à peine mouvants qui jouent tour à tour le jeu de la verticale et de l’horizontale. Rien à signaler donc de ce côté là, même si des meubles design nordiques en hôtel particulier 19e, ainsi que certaines scènes orientalisantes faussement nues (le bain de l’acte 2) ou facilement blasphématoires (les protestants caressent le fourreau de leur épée au rez-de-chaussée, quand à l’étage la foule des catholiques fait hystériquement des signes de croix) peuvent être un petit peu agaçants. Au final l’épure paie, surtout quand les voix sont aussi magnifiques et les musiciens aussi magnifiquement dirigées. En cinq heures on a l’impression que tout le monde se chauffe et progresse, les finals des actes sont des grandes messes absolument réussies à l’oreille et l’on se réjouit de l’osmose entre les grands solistes (Habillée en page vert, Karine Deshayes souligne les chœurs avec du génie). Bref, on se laisse emporter par la musique et l’on ovationne avec joie les artistes à la fin d’un long et beau périple dans une certaine idée de l’opéra français modernisée sans adaptation abusive, ni politique, ni musicale.

visuel (c)Agathe Poupeney / OdP

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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