“Hamlet” fait son grand retour à l’Opéra Comique
En 1868, Ambroise Thomas créait dans la salle Le Peletier de l’Opéra son adaptation de la célèbre pièce de théâtre de Shakespeare, Hamlet. 150 ans plus tard, en 2018, Cyril Teste s’emparait de cet opéra français en le mettant en scène avec brio. C’est cette même mise en scène que l’Opéra Comique propose à nouveau de découvrir depuis le 24 janvier, et ce jusqu’au 3 février prochain.
Un opéra qui met à l’honneur les personnages
L’opéra Hamlet d’Ambroise Thomas propose une partition musicale de grande envergure. Pour la créer, le compositeur lui consacra environ 8 ans de sa vie, une durée qui n’est pas négligeable. Repris dans les villes du monde entier – New-York, Barcelone, Berlin ou encore Bruxelles – cet opéra subjugue par ses propositions. L’une de ses singularités est la mise en avant de la psychologie des personnages. L’intrigue politique, très présente dans la pièce originale, laisse le pas aux sentiments, aux névroses qui tourmentent Hamlet et ses proches.
Si la psychologie des personnages devient le fil directeur, ceux-ci sont particulièrement touchants grâce à la capacité vocale et le jeu des chanteurs lyriques. Stéphane Degout interprète un Hamlet baryton qui passe sans peine de la tristesse, à la colère, de la folie à l’ivresse. Il incarne son personnage d’une telle façon que toutes ses émotions se ressentent à travers son corps, le transperçant de toutes parts. A ses côtés le Spectre du feu roi a un aspect véritablement fantomatique. Celui-ci est accentué par la voix profonde et lente de Jérôme Varnier qui détache et fait durer chaque syllabe. Sa façon de poser sa voix, sa partition “non-mélodique” le transforme en un homme tout droit sorti de sa tombe, en un spectre réussi.
Tous les personnages sont richement interprétés, mais il en est un qui se détache particulièrement des autres. Sabine Devieilhe propose une Ophélie grandiose dont la sensualité et l’amour qu’elle porte à Hamlet sont enrichis par sa voix de soprane, ses vocalises éblouissantes et par son corps qui exprime toute sa fragilité, sa douceur, sa tristesse. Sur scène, elle éblouit par sa simple présence. Dans cet opéra, elle devient un personnage central et l’Acte IV lui est entièrement dédié. Un seul en scène qui la transforme en quelqu’un d’envoutant, une sirène dont le chant happe celui qui écoute. Ophélie devient finalement cette sirène dont elle parle dans une chanson – “La sirène passe et vous entraîne sous l’azur du lac endormi.” – et finira sa vie au fond de l’eau.
Un accompagnement musical qui renforce les enjeux dramatiques
L’accompagnement musical est réalisé par l’Orchestre des Champs-Élysées, dirigé par Louis Langrée. Cordes, vents, cuivres, percussions ; l’ensemble des instruments s’unit pour proposer une orchestration qui renforce les enjeux dramatiques. Chaque scène, chaque action est portée par la musique. On plonge dans une alternance de pianissimo, de mezzo forte, de fortissimo ; les rythmes s’emportent et se calment ; des variations sonores qui instaurent des ambiances multiples. Les personnages sont reliés à la musique, leurs émotions se reflètent dans celle-ci. C’est ce que l’on remarque à l’arrivée de Hamlet au banquet du roi dans le premier acte. Son entrée est marquée par un changement de registre musical, la mélodie devenant plus dramatique.
La partition d’Ambroise Thomas est d’une grande originalité et remplie d’idées novatrices. Elle propose notamment un solo de saxophone alors que le saxophone n’avait pas sa place jusqu’ici dans un orchestre lyrique. C’est sous la plume de Thomas qu’il fait son apparition. Hamlet donne ainsi naissance au “premier grand solo de saxophone dans le répertoire lyrique” comme le souligne Louis Langrée. A son solo s’ajoutent celui du trombone et de la clarinette, secondée par un quatuor de cordes, qui sonnent avec puissance.
Une mise en scène qui nourrit l’opéra
“La question de la vérité est au cœur de l’œuvre” souligne le metteur en scène Cyril Teste. Cet opéra met en scène un Hamlet qui veut faire éclater une vérité que toute la cour rejette. Il devient une sorte de Cassandre, cette femme ayant la capacité de prédire l’avenir, et le malheur de ne jamais être crue. De son côté, Hamlet ne prédit pas l’avenir mais dévoile le passé, sans être écouté. Avec cet opéra, Cyril Teste s’empare d’un thème qu’il avait déjà développé précédemment dans sa création Festen (2017). Ce spectacle racontait l’histoire d’un fils qui dévoile une vérité sur son père, une vérité refusée par sa famille. Vérité, mensonge ; tous deux se confrontent ici et détruisent ceux qui les détiennent.
La mise en scène joue sur le “parti pris de la confidence” de cet opéra, elle le met en avant. Comme pour un grand nombre de ses spectacles, Cyril Teste utilise les images et propose une performance filmique qui permet d’être au plus proche des personnages. La scénographie, conçue par Ramy Fischler du RF Studio, “est moins un décor qu’un espace de projection”. Elle est élaborée autour d’un écran souple de 6 x 10 mètres suspendu sur un rail et commandé par wifi. Cet écran conçoit l’espace scénique en jouant sur sa profondeur. A cet écran souple s’ajoute un écran d’avant-scène qui ouvre chaque acte.
Une performance filmique entraîne un tournage, un montage, un étalonnage et un mixage réalisés en temps réel sous le regard du public. Des caméramans se trouvent donc sur scène entourés par de nombreux ingénieurs qui modulent les décors. Image et espace sont associés, et on entre au cœur de l’intimité des personnages, souvent filmés en gros plans. Aux images captées en direct s’ajoutent des films préenregistrés. Les images du passé s’insèrent à celles du présent, tout comme le spectre s’insère dans la vie de Hamlet. Les temps se mélangent et se lient.
Le Meurtre de Gonzague, une scène de grande envergure
“Nous jouons sur les trois niveaux du cinéma, du théâtre et de l’opéra.” explique Cyril Teste. La dernière scène de l’Acte II joue particulièrement sur cette idée. Elle met en scène le meurtre de Gonzague, lui même mis en scène par Hamlet pour piéger le Roi. La captation en direct permet de mettre au premier plan les visages, qui se retrouvent surcadrés au sein des trois arches qui servent de décor. Les visages sont découpés, l’accent est mis sur les expressions. La vraisemblance de la scène est ainsi poussée à son paroxysme et lors de l’empoisonnement, du sang sort de la bouche de Gonzague dont le visage se reflète sur l’écran. Le cinéma se mêle alors avec grandiose à l’opéra et au théâtre. Et quand la scène s’emballe, quand Hamlet feint la folie, la caméra se laisse également emporter en enchaînant les mouvements.
C’est sur un rythme frénétique et croissant que se construit cette scène. La prestation des chanteurs lyriques et des caméramans lui confère une énergie folle et une grand puissance. Hamlet se dépasse vocalement, son déchirement est total. Les nombreux figurants créent un chœur qui accroît l’énergie déployée. La sortie par l’orchestre au milieu du public achève la montée en puissance et clos l’acte brillamment.
Le Hamlet de Ambroise Thomas mis en scène par Cyril Teste est un plaisir, autant pour les yeux que pour les oreilles. Un opéra à découvrir à l’Opéra Comique !
Visuel : © Vincent Pontet