Opéra
Fascinant Requiem de Romeo Castellucci à Bruxelles

Fascinant Requiem de Romeo Castellucci à Bruxelles

06 May 2022 | PAR Gilles Charlassier

Le Théâtre de la Monnaie présente le Requiem de Mozart revisité par Romeo Castellucci qui avait marqué le Festival d’Aix-en-Provence en 2019.

[rating=4]

Romeo Castellucci appartient au nombre restreint de créateurs qui ont un imaginaire fort et reconnaissable, et ne se contentent pas d’asservir l’esthétique au divertissement. Le spectacle qu’il avait réglé autour du Requiem de Mozart pour le Festival d’Aix-en-Provence en 2019 appartient à ces visions artistiques qui renouvellent les formes. A partir de l’ultime partition du génie de Salzbourg, le metteur en scène et plasticien italien a imaginé un rituel articulé autour de la disparition.

Après un préambule où l’on voit une femme dans une chambre monacale, avant un rituel funèbre, sur un répons grégorien, puis un hymne maçonnique et un Miserere de jeunesse de Mozart, le Requiem proprement dit commence, tandis que s’égrènent une liste des espèces disparues. Le procédé bouleverse l’amorce des premières notes et semble prendre d’abord un ton un peu édificateur, pour rappeler l’extinction de masse causée par l’activité humaine – faune et flore. Mais l’apparence sentencieuse de la lente litanie vidéographique se mue progressivement en authentique rituel du retour au néant de toutes choses, au fil des noms des langues, religions, architectures, œuvres dont on a perdu la trace dans ce memento mori habillé d’un délicat grain lumineux. Ce n’est plus la simple culpabilité anthropique qui est pointée : l’éternité est celle de la poussière. Cette leçon de profonde humilité ne refuse pas une certaine joie : les danses calibrées par Evelin Facchini et les rondes de fleurs réinventent la permanence des transmissions générationnelles au cœur des traditions et des folklores paganiques. Et en laissant les dernières strophes à la voix d’un garçon soprano, Chadi Lazreq, c’est bien le cycle ininterrompu de la vie, dont la mort n’est qu’une étape fertile, qu’entend célébrer ce Requiem.

Habile à se glisser dans des propositions dramaturgiques inédites, Raphaël Pichon défend, à la tête de son orchestre et choeur Pygmalion ce Requiem de Mozart augmenté. Outre les pages liminaires, un air pour basse et choeur tiré de Thamos est inséré entre le Kyrie et le Dies irae. Un air de vocalise se glisse entre le Rex tremendae et le Recordare. L’esquisse de la fugue de l’Amen, problablement prévue pour conclure le Dies irae et retrouvée dans les années soixante, donne un écho singulier au Lacrymosa, où s’arrête la partition de Mozart. Si la parodie du mouvement lent de la Sérénade Gran Partita entre le Domine Jesu et Hostias aère l’enchaînement, c’est dans les dernières séquences que la dramaturgie musicale accentue son impact, avec le prolongement de l’Agnus Dei par une version princeps pour l’un des deux chants d’église allemands de la main du compositeur pour le prince-évêque Colloredo, avant l’écho de la Communio par l’antienne grégorienne In paradisum, s’évanouissant dans le silence.

Si la franchise de l’intonation des pupitres orchestraux de Pygmalion n’évite pas toute scorie, on saluera la retenue décantée des choeurs, au diapason d’une conception où les arts plastiques rejoignent l’expérience spirituelle. A rebours de l’isolement des individualités sur les scènes lyriques, les quatre solistes – la soprano Sandrine Piau, l’alto Sara Mingardo, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani et la basse Luca Tittoto – se fondent dans les ensembles, dont ils étoffent l’émotion sans dialectique. Car c’est bien à un cheminement commun que Romeo Castellucci nous invite dans ce Requiem qui illustre avec une acuité rare la puissance cathartique du théâtre, où l’émerveillement stimule la réflexion, et où la pensée laisse songeur.

Gilles Charlassier

Requiem, Mozart, Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, du 29 avril au 14 mai 2022.

© Bernd Uhlig

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