Opéra
Brownlee et Spyres ou le bel canto en folie au Théâtre des Champs-Élysées.

Brownlee et Spyres ou le bel canto en folie au Théâtre des Champs-Élysées.

24 January 2023 | PAR Paul Fourier

Les deux ténors ont offert au public une prestation réjouissante basée sur leur virtuosité ébouriffante. La soirée aurait pu être parfaite avec un orchestre de niveau correct et une utilisation un peu plus sobre des effets comiques.

Michael Spyres et Lawrence Brownlee sont deux grands artistes d’essence principale belcantiste, autant que deux complices qui aiment à se produire ensemble. Ils se distinguent dans un art où la virtuosité, souvent proche du délire, provoque chez l’auditeur une jubilation liée à la performance. Depuis, quelques années, ils ont ainsi articulé une partie de leurs carrières autour de concerts où l’intégrité musicale est moins la priorité, que l’occasion d’exposer leur talent dans un esprit d’« entertainment », de divertissement à l’américaine. Ils sont fréquemment rejoints dans cet exercice par des collègues qui excellent dans les mêmes répertoires, tels que Levy Sekgapane ou René Barbera.

Certes, c’est la nature même du récital que de s’affranchir de la rigueur d’un opéra entier pour en extraire les pépites et, selon les interprètes, il peut exister, là, des marges de manœuvre conséquentes pour détourner ces airs de leur objectif « sérieux » initial. Au demeurant, Rossini est le compositeur idéal pour ce type de « gymnastique » puisqu’il fut, lui-même, capable d’utiliser successivement les mêmes partitions pour illustrer tant un opera buffa qu’un opera seria et cela, à l’époque où le grand succès des castrats reposait souvent plus sur leur virtuosité que sur le compositeur interprété ou son œuvre.

Des duos ébouriffants…

C’est donc incontestablement dans cet esprit que fut conçue la soirée du dimanche 22 janvier 2023.
Après un air de Mitridate (par Brownlee) et de Siroe de Latilla (par Spyres), c’est bien dans les duos de Rossini que nos deux ténors ont prouvé la quintessence de leur art. Ce furent alors « Donala a questa core… Teco or sarà » de Ricciardo e Zoraide, « Deh ! scusa i trasporti » d’Elisabetta, Regina d’Inghilterra et, enfin… (et surtout !) le « Ah vieni, nel tuo sangue » d’Otello. La reprise de ce dernier, en toute fin de concert, sera le plus grand numéro de haute voltige de la soirée avec des suraigus devenant enjeux de défi, dans un match quasi pyrotechnique entre les deux artistes.

Les autres beaux moments de cette soirée furent le duo : « Au fond du temple saint » des Pêcheurs de perles de Bizet ; un duo qui apparaissait comme une pause permettant à chacun de se ressourcer après quelques excès ; puis, à l’autre extrémité du spectre musical, quelques romances italiennes dans lequel le timbre plus corsé de Spyres a fait merveille. Lawrence Brownleee, quoiqu’un peu clair en tessiture, a interprété un air de Guillaume Tell de bonne tenue, même s’il était manifestement plus à sa place dans « La danza ».
Ensuite, il y eut ces airs qui assurent, depuis toujours, leur moment spectaculaire lors des récitals mais qui furent détournés ici pour « faire le show ». Tirés de Rigoletto et de La fille du régiment, « La donna e mobile » et « Ah mes amis… », chantés à deux ont mis en joie un public en joie, même si l’on se serait volontiers passé, dans le second air, des interventions (vocales) récurrentes du chef…

Et des passages bien contestables

Et… il y eut quelques « sorties de route », dont la plus notable a été le « Ah si ben moi… Di quelle pira » dans laquelle Spyres – qui, depuis qu’il se proclame baryténor a décidé de tout oser, de Manrico à Tristan – ne fut pas loin de finir dans le mur tant ses aigus forcés et détimbrés n’avaient plus grand-chose à voir avec Verdi.

Il faut ajouter à cela, que ni son compère, ni lui, ne furent aidés par un orchestre parfois proche de la fanfare municipale, un orchestre qui ne se sortit à peu près honorablement que de l’ouverture de La Clemenza de Tito, pour ensuite gâcher celle de L’italienne à Alger, et ce, à cause d’un dispositif de percussions inadapté et de registres bien disjoints. Quant au Chef, David Stern, se prenant un peu trop au jeu du « show », se satisfaisant même d’un rôle de clown, il en a, souvent, oublié qu’il était là pour accompagner deux artistes, régulièrement couverts par un flot musical totalement hors de propos.

L’on n’attendait certes pas une soirée d’une grande probité stylistique car tout le monde était surtout venu pour s’amuser avec ces deux ténors et leur l’énergie déjantée. À l’écoute des rires et cris du public et en dépit des nombreuses limites allègrement franchies, on peut penser que l’objectif a été pleinement atteint.

Visuel : © Shervin Lainez

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Paul Fourier

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