Opéra
[BERLIN] Au Staatsoper, un Tannhäuser de Sasha Waltz riche en rebondissements

[BERLIN] Au Staatsoper, un Tannhäuser de Sasha Waltz riche en rebondissements

18 April 2017 | PAR Samuel Petit

La représentation de ce grand classique de Richard Wagner dans une mise en scène d’une des figures les plus adulées et les plus décriées outre-Rhin fût perturbée dimanche 26 Février. Par un rhume, fléau auquel il est rare d’échapper à Berlin en hiver.

 

 

Sasha Waltz n’a cessé au fil de sa carrière de repousser les limites de son art, de s’émanciper du Tanztheater dramatique vers d’autres terrains d’expérimentation plus symboliste.  Lorsqu’elle joue à domicile, Waltz peut compter sur le large public de danse à Berlin, qui lui est acquis depuis ses débuts dans les années 90 sur les planches des Sophiensaele. Toutefois, quand l’enfant prodigue du pays relève le défi de mettre en scène un opéra, et plus encore une œuvre de Wagner, c’est à un tout autre public, extrêmement exigeant et suspicieux, de nature conservatrice, auquel la choréraphe-star doit se frotter.

Pour la scène d’ouverture, la Bacchanale, Waltz ne semble pas vouloir faire de compromis. D’une folle installation circulaire sortent pendant de longues minutes des corps à demi-nus en quête frénétique d’extase. C’est la montagne de Venus, “Venusberg”. L’habileté et la sensualité des danseurs de sa compagnie permettent de rendre avec succès de l’effet scandaleux recherché par Wagner. Celui-ci a rajouté a posteriori pour la version parisienne de Tannhäuser afin que le public français, plus libéral, comprenne le rejet que subit Tannhäuser sur terre suite à la révélation de son séjour auprès de Vénus, superbement interprétée par Marina Prudenskaya. La vision explicite, jamais trash mais au contraire grâcieuse, proposée par Sasha Waltz et sa co-scénographe Pia Maier Schriever fascine et gêne un peu à la fois : l’effet recherché est au rendez-vous.

On s’éloigne par la suite du théâtre d’images et la danse elle-aussi devient un aspect secondaire de la mise en scène. Si le tout reste cependant élégant – à l’image de cette scénographie à base de longs cylindres fins qui remodélisent l’espace en toute légèreté -, cette première scène monumentale d’un point de vue esthétique constitue bien une exception. Cela se justifie aisément par le fait que ce qui se passe sur Venusberg se trouve tout à fait en décalage avec ce qui ai donné à voir lors des 4 heures à venir. D’ailleurs, par les costumes, par les postures, le parti est pris de transposer cette légende du haut Moyen-Âge germanique dans l’Allemagne de l’Ouest des années 50. Cette soi-disant morale conservatrice porte en elle quelque chose de bien plus décadent que n’importe quelle orgie sur Venusberg.

Si le propos développé par Waltz est tout à fait intéressant, on regrettera toutefois qu’elle ne réussit pas à sublimer les longueurs de l’œuvre originale par la danse, la scénographie ou la direction d’acteurs, sans doute le grand point faible de ce Tannhäuser. Aussi, Waltz ne semble jamais tout à fait trancher la question de la pluralité de mediums qu’offre l’opéra et peine à trouver la combinaison et l’ajustement qui fonctionnerait sur un temps long.

Dès le premier entracte de cette représentation ce 26 Février 2017, l’exigeant public d’opéra exprime entre deux canapés et coupes de champagne ses premières réserves. Les plus virulentes ne ciblent cependant pas la mise en scène mais l’interprète de Tannhäuser : non seulement le jeu de Burkhard Fritz, ayant remplacé Peter Seiffert dans le rôle-titre, ne convainc pas, mais sa prestation lyrique reste à désirer. « Sa voix ne porte pas. » Les spéculations vont bon train. « Il doit être malade », ou encore « Tiendra-t-il jusqu’au bout des 4 heures et quart de représentation ? »

Au cours du fameux « combat des chanteurs » – somme toute l’équivalent d’un battle de rap au Moyen-Âge -, drôle et furieux, et du départ pour le Vatican de Tannhäuser qui closent le deuxième acte, les terribles pronostics des mauvaises langues se révèlent exacts. C’est à une performance quasi de mime, d’un Fritz quasiment aphone qui cherche à ne pas perdre sa contenance, auquel assiste un public tétanisé. Cet incident a le mérite de mettre en lumière d’une part le grand professionnalisme de l’ensemble qui ne perd jamais son calme, d’autre part de prouver, si cela était nécessaire, le génie de la grandiloquence wagnérienne et de la direction réussie de Simone Young, tant on reste malgré tout plongé dans ce conte fou.

C’est donc avec le plus grand scepticisme, et après de nouveaux canapés, quelques gorgées de champagne et un nouveau tour de mondanités, que le public regagne l’auditorium du Schiller Theater pour l’ultime acte. Le directeur de la programmation s’avance de devant le rideau, résume la situation qui n’a échappé aux oreilles de personne et annonce : Burkhard Fritz est décidé à poursuivre jusqu’au bout. Et si c’est un Tannhäuser profondément déboussolé et affaibli physiquement par son échec d’obtenir du pape l’absolution qui réapparait après peu de temps, c’est un Fritz à la voix plus en forme que jamais qui interprète les longs passages lyriques complexes du troisième acte. Le dénouement tragique du troisième acte fonctionne à plein régime et le public salue allègrement la performance. Ceci ne met toutefois pas fin à l’esprit railleur des berlinois et les paris, quant à eux, reprennent après la fin du spectacle : le public, décidément plaisantin, spécule sur la nature du dopage utilisé par Fritz pour faire un tel come-back.

 

©Bernd Uhlig/Staatsoper Im Schiller Theater Berlin

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Samuel Petit

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