Benjamin Dernière nuit : une nuit sans étoile
Dans la cadre de son festival “Pour l’Humanité”, l’Opéra de Lyon présente la création de Benjamin, dernière nuit sur le livret de Régis Debray et la musique de Michel Tabachnik. L’oeuvre propose de nous plonger dans la dernière nuit de Walter Benjamin (philosophe, historien de l’art, critique littéraire, critique d’art, traducteur et juif allemand) avec le protagoniste dont la pensée se laisse aller. Une tentative louable qui ne fonctionne malheureusement pas.
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Disons-le tout de suite, cette création n’est pas une réussite, les lacunes se faisant sentir dès le livret. L’action n’étant pas la base de l’histoire, il était crucial que nous soyons emportés par les mots et par la curiosité de connaître le personnage, de le comprendre. Si l’idée de passer du texte parlé au chant pour passer du présent de la narration aux souvenirs et à la pensée est intéressante et assez bien mise en place, elle n’apporte finalement que peu d’éclairage et passe à côté de son intérêt et de son potentiel. Le manque d’intérêt est d’ailleurs le sentiment global qui ressort de la soirée et du livret.
Côté musique, la partition de Michel Tabachnik est très accessible pour une création contemporaine, même si cela reste loin des partitions classiques sans dissonance ou envie de choquer l’oreille. Il faut cependant attendre un quart d’heure avant que la première note de musique ne sorte de la fosse. La direction de Bernhard Kontarsky manque cruellement d’équilibre avec la scène et l’excès en devient parfois désagréable, comme dans la scène avec Brecht où l’on ressent davantage une impression de cacophonie emportant tout sur son passage, y compris et surtout les voix du plateau.
Difficile alors de parler de ces dernières, à peine audibles et étouffées par la musique. Le chef aurait-il régler l’intensité de la partition sur les voix parlées amplifiées par des micros (qui ont aussi parfois besoin de forcer pour se faire entendre)? Toujours est-il que les voix des solistes ne parviennent pas à marquer et à vaincre la fosse, même si l’on devine en Jean-Noël Briend un ténor à la voix agréable et à la très bonne diction, contrairement à Michaela Kustekova dont la prononciation du français (qui, notons-le, n’est pas sa langue maternelle) n’est pas excellente. Son interprétation est quant à elle très investie, ce qui est tout à fait louable dans ce contexte.
Relevons alors la mise en scène de John Fulljames très intelligente et se sortant étonnamment bien de ce livret, rangeant par exemple le personnage d’Asja Lacis sur une étagère au milieu du reste des nombreux objets délimitant le plateau, la faisant sortir lorsque Benjamin se souvient d’elle. Le triple écran placé au-dessus des personnages est également habilement employé, ne polluant jamais l’espace visuel mais l’enrichissant, au contraire, permettant même parfois d’adopter un point de vue différent de ce qui se déroule sous nos yeux ou bien de nous transporter en un autre endroit, en un autre temps.
Dommage que cette mise en scène soit l’unique point positif de la soirée, les choeurs réduits de l’opéra étant généralement eux aussi inaudibles, totalement couverts par l’orchestre. Sava Lolov, qui incarne Walter Benjamin pour la partie jouée et non chantée, offre quant à lui un jeu très agréable et tout à fait convaincant.
En conclusion, malgré sa durée d’1h30, il faut bien avouer que cette nuit est longue et ne fait pas rêver…
©Stofleth