Opéra
Barrie Kosky et son ouragan Belle Hélène à Berlin

Barrie Kosky et son ouragan Belle Hélène à Berlin

11 May 2022 | PAR Paul Fourier

Au Komische Oper, le metteur en scène attaque l’opérette d’Offenbach à la dynamite. Le résultat est un produit hystérico-explosif qui met les spectateurs en joie.

Bien évidemment, lorsque l’on sait que l’on va voir Die Schöne Helena de Jacques Offenbach, donc en allemand, il y a bien là, une petite frustration de savoir que l’on ne pourra pas profiter totalement des dialogues savoureux de Meilhac et Halévy, dialogues qui furent si bien exploités, par l’équipe de Laurent Pelly, il y a plus de deux décennies sur la scène du Châtelet. Le désagrément sera, en partie, résorbé par le système de surtitrage absolument performant du Komische Oper.
En revanche, si l’on vient c’est avant tout pour le maître des lieux, le sieur Barrie Kosky riche de son aptitude à vous emmener loin dans le délire. De ce point de vue, on ne va pas être déçu !
D’Offenbach, on s’interroge toujours pour savoir s’il faut respecter, à la note, la musique et, à la lettre, les dialogues, dont certains restent totalement intemporels quand d’autres sont en phase avec la société du Second-Empire. Avec Kosky, la question ne se pose pas… car rien n’est conservé en l’état ! Pourtant, l’on n’est aucunement tenté de sous-titrer le spectacle « d’après La Belle Hélène » tant, sans doute aucun, l’esprit de la pièce et du trio Offenbach / Meilhac / Halévy demeure intact.
Le décor est unique et figure un salon bourgeois ; le mobilier est limité à un canapé et l’on retrouve quelques accessoires, dont un gramophone qui explose souvent et, de temps à autre, éructe quelques musiques passablement martyrisées, l’appareil ayant, tout de même, notons-le, une préférence pour Wagner. Et si Wagner rappelle que La Belle Hélène fut créée en même temps que Tristan et Isolde, et que nous sommes à Berlin, à quelques encablures du Staatsoper qui, la veille, programmait Lohengrin, Barrie Kosky ne s’arrête pas là dans la diversité des musiques. Ainsi l’on entendra pêle-mêle, des mesures d’Elektra, de La Force du destin, de la 5e de Beethoven, de la 6e de Malher, de la musique de Brasil ou de chants folkloriques juifs (et on en oublie).

Une avalanche de gags et un délire musical

En fait, il s’avère impossible de décrire ce spectacle tant les idées surgissent à vive allure et ne laissent aucun répit au public.
Scéniquement, les protagonistes (dont on subodore qu’ils doivent être épuisés en fin de représentation) sont, physiquement, très sollicités, qu’ils soient athlètes confirmés (comme les danseurs) ou enrobés (comme Stefan Sevenich dans le rôle de Kalchas).
Toutes les figures de style digne d’un concours de patinage artistique semblent y passer. Et alors que les rois font leur entrée, certains en patins en roulette, d’autres en chaises roulantes (dont le bouillant Achille !), l’on en vient à craindre que l’un d’entre eux n’atterrisse sur nos genoux.
Le corps, en lui-même devient un outil comique, chacun jouant de ses atouts et parfois même, le mime est invoqué lorsque Hélène fait mine de… faire ses carreaux.
Puisque Offenbach, à sa façon, dynamitait l’antiquité grecque, Kosky en rajoute un peu plus, lorsque Ménélas se plaint de partir pour la Crète plutôt qu’à Santorin, Naxos ou Sifnos. Et les « Kalimera » interviennent aussi joyeusement que les quelques mots français lancés de-ci, de-là.

Une gay folie

Les fameux danseurs, pour leur part, assumant crânement une gay attitude, jouent avantageusement de leurs physiques, amorçant la soirée, fesses à l’air, dans des culottes de peau à la bavaroise, puis évoluant en smokings et perruques, façon Victoria, en maillots de bain une pièce, ou en costumes de hussard agrémentés d’une jupe. Ainsi accoutrés, leurs interventions ajouteront, à tout moment, un côté foldingue à l’ensemble.
La colombe est une danseuse (en fait au sexe indéterminé), bien en chair, qui fait des pointes en avant-scène, et Pâris, lui vêtu comme un cowboy des Village People, caresse allègrement Kalchas qui n’en peut mais.

Tout cela est-il de bon goût ? Pas du tout ! Kosky endosse pleinement une certaine grivoiserie qui lorgne même parfois vers la vulgarité, Hélène n’hésitant pas à finir le nez dans l’entrejambe de Pâris. Et c’est aussi de cela que provient la jouissance ressentie. La main au cul est désormais interdite dans la vraie vie, alors fourrons-nous en jusque-là sur une scène dédiée à Offenbach…

Les voix au service de la farce

Côté voix, l’on revient à la tradition de l’opérette, en se rappelant que la plus belle version existante de La Vie parisienne fut celle composée d’acteurs et chanteurs, réunis autour de Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, Simone Valère et Suzy Delair. Ici les voix sont parfois de haut niveau, parfois non, mais qu’importe !

Nicole Chevalier interpréta, en 2019, les trois rôles des Contes d’Hoffmann à la Monnaie de Bruxelles. Elle est une Hélène idéale, réussissant parfaitement à exécuter les pires acrobaties, tout en maintenant l’intégrité de sa voix. Passant d’Hélène à Marguerite de Faust « qui rit de se voir si belle… » et à Édith Piaf, elle semble prendre autant de plaisir que nous.
À ses côtés, on découvre, en Pâris, l’excellent ténor (pas si) léger et pourvu d’aigus triomphants, Tansel Akzeybek. Stefan Sevenich incarne un Kalchas, à la voix de cabaret, à tout moment désopilant. Dominik Köninger, en Agamemnon et Maria Fiselier en Oreste sont également parfaits, et bien dans leurs cothurnes.
Si l’on ne peut pas citer l’ensemble des membres de cette troupe vocale – sans oublier le chœur – on les réunira dans un concert de louanges visant à honorer un travail d’équipe d’une perfection horlogère.
Enfin, compte tenu de leurs prouesses de gymnastes, il est aussi indispensable de saluer toute l’équipe de chorégraphe et danseurs (Damian Czarnecki, Zoltan Fekete, Michael Fernandez, Paul Gerritsen, Daniel Ojeda, Lorenzo Soragni, Silvano Marraffa).
Quant à Michele Spotti, souvent interrompu par les turbulents artistes sur scène, il dirige avec une espièglerie follement en phase.

Offenbach en folie à Berlin ! Offenbach en folie à Paris ?

Où ailleurs qu’à Berlin peut-on imaginer spectacle pareil ? Un spectacle qui invoque les mânes de la riche époque culturelle et débridée de la République de Weimar et de ses bals travestis, du music-hall, de Victor Victoria de Blake Edwards, reliant ses univers à la scène française avec Édith Piaf, Jacques Brel et Charles Aznavour dont les textes furent régulièrement tournés en dérision ?
Barrie Kosky, avec cette synthèse joviale, vise ouvertement à dynamiter les genres dans un but clair : donner du plaisir à ses spectateurs.
Mais cela interroge sur le fait que Paris, depuis les productions mémorables de Laurent Pelly au Châtelet, semble avoir déserté (à quelques exceptions près) le terrain pas seulement joyeux, mais totalement ébouriffant, de l’opérette d’Offenbach…
Le Komische Oper affiche chaque année, à côté d’ouvrages plus sérieux, outre cette Belle Hélène – pardon ! cette Schöne Helena -, Orphée aux enfers, Les Contes d’Hoffmann, des opérettes d’Oscar Strauss et même l’année prochaine La Cage aux folles.
Berlin n’a pas oublié la riche période de Weimar ! Paris aurait-il perdu de vue les années folles ? Ce voyage outre-Rhin où l’on célèbre le compositeur français au nom si teuton nous amène à nous le demander… Quoi qu’il en soit, la soirée était belle et la troupe pétillante comme la coupe de champagne engloutie à l’entracte.

Visuels : © Iko Freese/drama-berlin.de

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