À Londres, une Tosca en équilibre instable, dominée par Vittorio Grigolo
Hasard du calendrier, l’opéra de Puccini est programmé en même temps à Paris et à Londres. Alors que c’est la valse des ténors à Bastille, Vittorio Grigolo qui y assure aussi quelques représentations en remplacement de Jonas Kaufmann, brille au Royal Opera House, dans un spectacle, par ailleurs, encore inégal.
Monter Tosca semble, plus que jamais, devoir s’inscrire dans la tradition. et on peut constater, outre-Manche, que les quelques idées iconoclastes de la production parisienne n’apportent finalement pas grand-chose et nuisent même, par moments, à la tension dramatique. Avec Jonathan Kent et son équipe, on retrouve une mise en scène, des décors et costumes de facture extrêmement classique et l’on ne s’en plaint pas. L’église, le bureau de Scarpia et le plateau dépouillé de la fin permettent aux chanteurs d’évoluer à leur aise et de revenir aux fondamentaux de l’opéra de Puccini où la lutte (pour sa vie, pour son honneur, pour sa patrie) est le sujet principal. Ce classicisme comme écrin convient de surcroît aux trois protagonistes dont les tempéraments sont naturellement faits pour une dynamique brute d’affrontement de grands fauves.
Car, à l’opposé de tout drame intimiste, le parti pris est de privilégier le spectaculaire même si en ce soir de Première, l’alchimie est un peu contrariée et ne convainc pas complètement. Le miracle de Tosca, c’est qu’elle doit, à la fois, subir puis vaincre dans le combat du second acte contre Scarpia, mais également jouer la femme frivole et franchement jalouse du premier acte et l’inquiétude amoureuse du dernier. Cette quadrature du cercle exige trois protagonistes totalement en phase dramatiquement et vocalement, alors qu’ils sont, ce soir, un peu en décalage.
Kristine Opolais revient à Londres dans le rôle de Tosca qu’elle avait abordé en 2017 à Baden-Baden. D’un physique et d’une expressivité incontestablement adaptés à ce rôle de lionne jalouse, blessée et combative, elle n’a aucun mal à en trouver les accents même si on se serait parfois satisfait d’une diva moins énervée, voire hystérique. Pour autant, si elle imprime au rôle une réelle force dramatique, la voix, malgré des beaux graves souffre désormais d’un manque de rondeur dans le médium et d’un registre aigu limité et dégradé qui est devenu un handicap pour la chanteuse. On salue l’artiste, mais on s’interroge sur sa capacité à convaincre dans le rôle qu’elle chantera dans plusieurs théâtres en 2019.
Vittorio Grigolo a trouvé en Cavaradossi un défi à sa mesure. Le si beau timbre et la voix d’un volume et d’une projection stupéfiants s’accordent parfaitement avec les emportements amoureux et révolutionnaires du peintre. Son « Vittoria », presque vériste est le plus puissant et, finalement, le plus crédible que l’on peut imaginer et son « Lucevan » solaire s’inscrit dans la tradition des plus grands interprètes italiens du rôle. Tout juste, note-t-on comme souvent, que sa nature le poussant à l’histrionisme, il ne réfrène pas ses élans contrairement à Paris où il avait fait preuve d’une sobriété étonnante – est déchainé et semble, en permanence, monté sur ressorts.
Quoi qu’il en soit, s’il y a un Cavaradossi à entendre aujourd’hui, et indépendamment des quelques défauts de cet artiste (trop) généreux et vibrionnant, c’est incontestablement Grigolo.
Face à ces deux là, survoltés et chauffés à blanc, Bryn Terfel reste une présence impressionnante en scène, mais campe un Scarpia trop noble, trop maîtrisé et pas assez lubrique. Il apparaît comme un bloc presque froid et finalement anachronique. De plus, son autorité vocale naturelle, son beau timbre de baryton et une projection qui font merveille lors de son arrivée dans l’église doivent désormais s’accorder avec une voix dont l’étendue semble s’être rétrécie avec le temps et qui manque de couleurs pour incarner les facettes pernicieuses du chef de la police.
Complétant efficacement la distribution, Jonathan Lemalu est un sacristain truculent, Michael Modifian un Angelotti enfiévré et Hubert Francis un Spoletta tout à fait sournois .
Suivant le parti pris de ce spectaculaire où se débattent Tosca et Cavaradossi, Alexander Joel, à la tête de l’orchestre du Royal Opera House, déroule un tapis musical riche et adapté comme dans le Te Deum, somptueux aussi comme dans le début de l’acte III mais tombe parfois dans la grandiloquence notamment pour les affrontements de l’acte II. Ce faisant, il inscrit sa Tosca plus dans l’âpreté de la violence que dans l’hédonisme. Cela est cohérent même si on peut être amené à penser que les trois artistes qui font efficacement le show devraient se caler et accorder un peu mieux leurs violons avec le temps.
Ainsi, le fait que les deux productions parisienne et londonienne, avec leurs qualités et leurs défauts, soient concomitantes rend tout à fait passionnante cette confrontation à distance.
Visuels© Catherine Ashmore / ROH 2019