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« Le cœur au bord des lèvres » : un portrait mosaïque de la chanteuse Asmahan

« Le cœur au bord des lèvres » : un portrait mosaïque de la chanteuse Asmahan

21 February 2023 | PAR Juliette Brunet

Dans l’intimité de la salle Christian-Bérard du Théâtre de l’Athénée, la comédienne Dea Liane donne sa voix à Asmahan, la diva du Caire des années 40. Dans ce portrait musical toute en subtilité, ce spectacle suit le fil décousu de l’existence énigmatique d’une des figures les plus mythiques de l’âge d’or du monde arabe.

Dans un écrin de 90 places, au quatrième étage du Théâtre de l’Athénée, Dea Liane et Simon Sieger retracent l’existence pavée de mystères d’Asmahan, chanteuse et actrice mythique des années 40. En s’enfonçant dans les énigmes irrésolues de la vie de la diva syro-libanaise, ils dressent un portrait mosaïque et musical, aux couleurs de la mélancolie arabe. Les deux artistes emplissent les interstices de leur imagination, mettant en musique ce que les secrets ont passé sous silence. La voix envoûtante de Dea Liane et les improvisations de Simon Sieger nous entraînent dans une enquête poétique mêlant réalité et fiction, sur les pas d’un fantôme à la voix captivante, aujourd’hui encore objet d’un véritable culte.

En 2015, en déambulant dans une médiathèque, la comédienne Dea Liane emprunte par hasard un CD de la chanteuse Asmahan (1917-1944). Dès la première écoute, elle est fascinée par cette voix envoutante, déchirante de mélancolie. Après quelques recherches, elle apprend qu’Asmahan a connu une carrière fulgurante sur les scènes du Caire, avant de mourir à 27 ans – ou à 32 – dans un mystérieux accident, qui semble être un assassinat déguisé. Si sa mort reste une énigme, sa vie l’est tout autant : de cette existence en pointillés, ne reste que ses chansons, deux films et quelques photographies en noir et blanc. Après avoir quitté sa vie de femme au foyer Druze en Syrie, elle s’est installée seule au Caire pour se consacrer à son art : elle est devenue la reine des nuits de la capitale égyptienne, rivalisant avec la diva Oum Kalthoum. Lui survivre d’innombrables rumeurs et des descriptions succinctes : « une femme libre et mondaine, entre nuits blanches, parties de poker et flirts sans lendemain ».

Lorsque que Célie Pauthe lui propose de créer une carte blanche autour d’Asmahan, en 2021, Dea Liane voit son existence se mêler à celle de la chanteuse. Ses réflexions et ses recherches pour sa mise en scène la conduisent sur les traces de son propre arbre généalogique. Bercées par ce mythe, les jeunes générations du monde arabe voient dans les traits de la chanteuse, la figure incontournable d’un âge d’or qu’elles n’ont jamais connu : « Le temps d’avant, le temps où les cabarets du Caire battaient leur plein. Le temps où des centaines de comédies musicales produites en Égypte sortaient tous les ans, où tous les Arabes en fredonnaient les airs, où l’on voyait des actrices impétueuses et ironiques pétrifier les hommes d’un regard, d’une ondulation de leur ventre ». Symbole puissant de rébellion et d’émancipation, son visage apparaissait sur les murs de Beyrouth lors des révoltes populaires. Avec inscrit en dessous « Révolution ».

Se frayant un chemin entre des récits romancés et des témoignages contradictoires, Dea Liane devient elle-même une variation d’Asmahan, avec qui elle partage des origines syro-libanaises et une ressemblance physique indéniable. Avec une mise en scène inventive, elle redonne vie à la diva au travers de vraies fausses archives. À des projections de ses films et des enregistrements de sa voix, se mêle une « fausse vraie interview », où elle imagine les doutes, les pudeurs, les désirs de cette artiste, oscillant entre audace et dérive. Dans l’intimité d’une loge d’artiste et avec la douceur d’un piano-voix, son portrait apparaît tout en subtilité, à l’abri des projecteurs. Cette voix, envoûtante et fascinante sur scène, s’émeut en se souvenant de son enfance, se froisse en confiant ses échecs. Pour se briser en évoquant sa douleur de vivre.

Accompagné du brillant musicien Simon Sieger, Dea Liane a su incarner cette figure mythique, mélangeant les médiums pour en dépeindre toutes les facettes. En inspirant de la forme de la variation musicale, caractéristique de la musique orientale, ils jouent à recomposer cette voix subversive et vibrante. Dans ses improvisations, Simon Sieger entremêle la musique baroque de Couperin et le répertoire d’Asmahan, développant des infinités de sons et des motifs mélancoliques. Mêlant archive et imagination, musicalité et silence, langues arabe et française, cette variation théâtrale donne toute sa profondeur à cette artiste résolument libre. Ce portrait nuancé renvoie en miroir à l’histoire complexe du Moyen-Orient, à la possibilité d’un dialogue entre les générations et à la multiplicité des origines.

Ce spectacle en français avec des passages en arabe surtitrés en français s’inscrit dans la saison Jeune Création en partenariat avec Prémisses.

 

© Photos de Jean-Louis Fernandez 

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Juliette Brunet

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