Humour
Samia Orosemane : «  L’artiste prend toute la merde que cette vie lui donne »

Samia Orosemane : «  L’artiste prend toute la merde que cette vie lui donne »

24 January 2020 | PAR Donia Ismail

Avec « Femme de couleurs », présenté à l’IMA Comedy Club ce 24 janvier, Samia Orosemane propose un one-woman-show bienveillant autour du « rire ensemble ».

Samia Orosemane est l’une de ses humoristes qui vous marque : son phrasé, sa plume, son rire éclatant — même un travers un téléphone — et surtout sa bienveillance. Oui, on utilise le b word. Parce qu’avec elle rien n’est too much, tout est parfaitement bien équilibré, calculé. Dans son spectacle-biographie, Femme de couleurs, la franco-tunisienne voilée — mais en vrai on s’en fout non? — parle d’héritage, d’accents, de turban coloré, de mariage mixte… Avec une touche de théâtralité. Elle est à découvrir à l’IMA Comedy Club, à l’Institut du monde arabe, ce 24 janvier.

 © Alice Sidoli.

Donia Ismail : On vous présente souvent comme une “humoriste voilée”, et je crois que ça vous fait chier, non?
Samia Orosemane : Complètement. C’est réducteur. Je ne suis pas un foulard sur patte. Je trouve cela dommage que l’on me restreigne à un bout de tissu que je porte sur ma tête. Après les attentats de Charlie Hebdo, on m’a beaucoup invité sur les plateaux télé pour réagir à ces actes. J’avais l’impression d’être une bête de foire.

DI : D’ailleurs, un passage sur le plateau de Thierry Ardisson, dans Salut les Terriens ! en 2016, vous a marqué…
SO : En introduction, il m’avait nommé « l’humoriste voilée ». J’ai pensé à une blague ! Puis j’ai vu le passage télé : c’était bien écrit sur le bandeau de présentation. C’est dingue. C’est un réel indice de la situation dans laquelle on est en France. Quand je vais au Canada, en Afrique du Nord, à aucun moment on ne me parle de mon voile. On vient me chercher pour parler de sujets liés à l’Islam, comme si je n’étais que ça. Je ne suis pas née avec un foulard sur la tête. J’ai une vie avant ça.

DI : Cette attitude est très française…
SO : En France, on te demande directement de quelles origines tu es, d’où tu viens réellement. On est tous humains : un tous un parent qui aurait aimé que l’on se marie avec quelqu’un qui nous ressemble, une maman qui nous manque quand elle s’en va… Nous avons tous les mêmes histoires, nous sommes traversés par les mêmes émotions. Je veux perte un pont entre toutes ces cultures.

DI : Il y a aussi ce constat, que l’on ne peut pas être voilée et drôle à la fois…
SO : Exactement ! C’est simple, dans les médias les femmes musulmanes ne peuvent être que des Zahia ou des femmes recluses qui passent leur temps dans la cuisine, sans rien dire. D’être quelque part entre ces deux stéréotypes, d’être une femme voilée, ouverte et drôle, c’est inconcevable.

DI : On vous pousse à être le porte-drapeau de quelque chose, d’une cause, sans pour autant l’avoir décidé !
SO : C’est clair ! Je ne représente pas toutes les femmes musulmanes. Certains n’approuvent pas ce que je renvoie. Ils pointent du doigt mon turban qui dévoile mes lobes d’oreilles, qui vont dire « ah elle se maquille ! »… À l’origine, ce voile est le signe d’une évolution de ma spiritualité.
Dans mon spectacle, « Femme de couleurs », je parle de ce moment où j’ai annoncé à mes proches que j’allais porter le voile et des réactions que ça a suscitées. Une amie m’a dit, « mais pourquoi tu le mets sur ta tête ? » Je lui ai répondu, « J’ai essayé sur les pieds, mais c’était assez compliqué… » J’essaye de démontrer l’absurde par le rire. Il est important de dédramatiser la situation. Cependant, cela n’est pas mon seul combat.

DI : Ne nous étalons pas sur votre voile et l’Islam. Parlons plutôt de votre très réussi spectacle, « Femme de couleurs », où la théâtralité, le goût pour le bon vers est omniprésent. Pourquoi ce choix?
SO : Quand on commence la musique, on apprend tout d’abord les bases, le solfège. Lorsque j’ai intégré le conservatoire à mes 19 ans, j’ai commencé par les Molière. Petit à petit, je me suis créée un espace qui m’appartient. Par ailleurs, j’ai été nounou pendant une dizaine d’années. Lorsque je suis sur scène, je raconte des histoires à de grands enfants : j’apporte du rire, de la dérision, je les ramène à leur enfance.

DI : Au conservatoire, lorsque vous vouliez jouer Antigone, on vous attribuait automatiquement le rôle de la servante. Comment réagissait l’adolescente Samia Orozomane ?
SO : Elle était frustrée, mais c’est tant mieux ! C’est avec cela que née l’envie de se dépasser. L’artiste, c’est quelqu’un qui prend toute la merde que cette vie lui donne et qui l’utilise pour labourer son champ, pour en faire les plus beaux fruits. On est là pour essayer d’aiguiller les autres. Sur le coup, c’est toujours douloureux. Avec le recul, je me dis que j’ai de la matière ! Dans mon nouveau spectacle, que je suis en train d’écrire, je parle de la procréation médicale assistée. Cela fait plusieurs années que j’essaye d’avoir un enfant, ça ne marche pas. Sur le moment, c’est déchirant. Puis, j’ai trouvé des vannes. L’humour m’a permis de dépasser certaines choses. J’ai partagé ce texte avec des femmes dans la même difficulté, elles ont ri de ce malheur qui les a fait tant pleurer. Je panse leurs plaies, je mets des mots sur les maux.

 

DI : Dans votre spectacle, il y a un passage hilarant qui a retenu l’attention de tous sur les réseaux sociaux : c’est celui des accents africains. Avec vous, ce n’est jamais dans la moquerie, mais toujours dans l’hommage…
SO : Il faut aimer les gens. Mon papa me disait « tu te moques d’eux arrête ! » Non, pas du tout. Ce n’est pas méchant, au contraire. Les humoristes imitent leurs parents car ce sont les personnes qu’ils aiment le plus. C’est exactement pareil. J’ai rencontré toutes ces personnes, je les ai écouté au mieux, je suis reste attentive pour pouvoir desceller les particularités de chaque pays. Il y a beaucoup d’amour derrière, d’admiration. Quand j’entends certains qui me comparent à Michel Leeb, j’ai envie de les cogner ! Dans sa voix, il y a du mépris. Moi, c’est rempli d’amour, de générosité, de fraternité.

DI : S’il fallait choisir un accent, ce serait lequel?
SO : L’ivoirien. Le tempérament de l’ivoirienne est incroyable : elle a du caractère, du bagout. Elle occupe l’espace, elle a confiance en elle. Je rêverais d’être comme ça. Je suis une bouffonne, je dis oui à tout, je demande pardon même quand j’ai raison ! L’ivoirienne n’a pas peur d’aller envoyer balader les gens, elle s’en tape.

DI : Cet amour de l’Afrique noire, on le voit aussi travers vos habits…
SO : Ma meilleure amie malienne. J’ai été élevé au mafé – plat malien à base de riz, sauce d’arachide et poulet. J’ai toujours été fasciné par leurs vêtements, par le turban que portait sa maman. J’aime cette couleur, cette vie, leur générosité ! Tout est simple avec les Subsahariens.

DI : On rit, puis on pleure…C’est un grand huit d’émotions !
SO : Mon spectacle à l’image de la vie : des fois on rit, d’autres on pleure. C’est pourquoi la vie est belle et vaut la peine d’être vécue. On peut apprécier les bons moments que si nous sommes passés par de mauvaises passes. J’y étale ma vie, il n’y a aucune distance.

DI : Ce n’est pas trop compliqué d’être autant vulnérable ?
SO : Non, je me suis mangée tellement de claques, d’insultes. On m’a rabaissé, ignorer… Mais ça n’a pas changé ma nature. Je pleure un bon coup, puis je me relève, je continue. Il n’y a pas le choix. Je ne vais pas me rabaisser à leur méchanceté ! Comme disait ma mère, « le paradis, ce n’est pas gratuit ! » J’essaye d’être gentille, d’être une bonne personne. Ce n’est pas tous les jours facile. Mais il faut continuer. Mon bonheur est dans les yeux des gens.

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Donia Ismail

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